La dernière session de l’APASP a été consacrée à l’évolution de la Loi MOP et à ses rapports avec l’évolution - même du droit des contrats de la commande publique. Pilier de notre droit applicable aux constructions publiques, et de notre droit public tout court, elle est la marque de notre système juridique dès lors qu’elle n’existe nulle part ailleurs notamment en droit de l’Union Européenne, la commission ayant même été appelée à en contester certains points devant la Cour de Justice du Luxembourg - arrêt du 20 octobre 2005, aff C-264/03, à propos de la limitation de la possibilité de déléguer la maitrise d’ouvrage à une liste exhaustive de personnes morales de droit public.
Après avoir subi bien des soubresauts voire des tempêtes depuis plus de trente ans d’existence, elle est toujours bien présente, bien que tant le développement exponentiel des marchés publics globaux que les dernières lois votées ou en cours d’adoption n’aillent pas toujours dans le sens de sa pérennisation.
Historiquement, la loi MOP du 12 juillet 1985 fait partie d’un ensemble de textes qui ont tracé le cadre du droit Français de la construction publique. De la loi sur l’architecture de 1977, qui confie un monopole aux architectes pour ce qui est de la dévolution des permis de construire, à la mise en place du concours obligatoire en 1986 en passant par la création des CAUE et de la Mission Interministérielle pour la qualité des Constructions Publiques - MIQCP-, ce cadre- complété par les décrets d’application de janvier 1993- est toujours en vigueur aujourd’hui.
L’objectif principal de la loi de 1985 a été de bien identifier le rôle et les responsabilités de chacun des acteurs à l’acte de construire, en édifiant des cloisons étanches entre eux, et avant tout entre le concepteur et le réalisateur des travaux.
La notion de Maitre d’Ouvrage a été bien intégrée depuis et fait partie de la culture des collectivités publiques, pour qui le maître d’ouvrage est celui qui réalise de la commande publique, ce qui le fait déborder du champ même des travaux. C’est sans doute moins le cas depuis quelques années, à nouveau sous l’influence du droit européen, dès lors que la notion de maitre d’ouvrage a d’abord été supplantée par celle de pouvoir adjudicateur puis celle, plus récente et particulièrement extensive, d’acheteur public.
Ces toutes dernières années, deux évolutions ont plus particulièrement fragilisé ce cadre juridique. La première est relative à la disparition de la maitrise d’ouvrage publique dans la définition des marchés publics de travaux. Dès lors que, dorénavant, il suffit de démontrer- ce qui n’est pas évident en soi-que la personne publique exerce une influence déterminante sur les travaux réalisés qui répondent à ses exigences pour qu’ils entrent dans le giron de ces marchés, que ladite personne publique en exerce la maitrise d’ouvrage ou non; ce qui fait que des montages contractuels du type cession de droits à construire, bail emphytéotique ou à construction privés ou encore ventes en l’état de futur achèvement ( VEFA) encourent des risques de requalification en marchés publics de travaux en fonction du poids et de l’intervention de la personne publique sur leur conception et/ou leur réalisation. La seconde concerne l’utilisation exponentielle des marchés globaux dérogeant au principe de séparation entre le concepteur et le réalisateur, s’agissant avant tout du marché global de performances qui repose sur des critères - essentiellement rémunération du titulaire liée à la réalisation d’objectifs chiffrés de performances-relativement souples à mettre en œuvre.
La loi CAP du 7 juillet 2016 a plutôt été dans le sens de la protection des maitres d’œuvre, en imposant leur identification au sein des contrats globaux du type marchés publics globaux de performances et leur octroyant, via son décret d’application du 5 mai 2017, une mission de base obligatoire- par définition moins étendue que la mission de base dans les contrats séparés ne serait que dans le cadre du suivi de l’exécution des travaux et la réception des ouvrages.
La future loi ELAN - en cours d’adoption au parlement - ne semble pas aller dans un sens similaire. Elle étend en effet les exceptions aux principes fondateurs de la loi MOP, concernant surtout l’interdiction de mêler conception et réalisation. Elle permettra ainsi de souscrire de tels marchés globaux sans condition pour la réalisation ou la réhabilitation des ouvrages nécessaires aux jeux olympiques et paralympiques de 2024, la réalisation de logements locatifs aidés par l’Etat - cette dérogation devenant définitive alors qu’elle était auparavant liée à des dates butoirs-, des centres régionaux des œuvres universitaires- jusqu’en 2021-ou encore des réseaux de communication électronique- jusqu’en 2022-.Par ailleurs, la réalisation de bâtiments neufs en conception-construction ne sera plus soumise qu’à un seul critère, celui du dépassement des objectifs thermiques tels que fixés par la RT 2012; ce qui est une souplesse d’une portée considérable au regard des règles et de la pratique actuelle des marchés de conception-réalisation.
Quant aux bailleurs sociaux, ils ne seront plus soumis au titre II de la loi MOP-mission de base, indemnisation en cas de concours, rémunération forfaitaire fixée contractuellement-pour la réalisation des logements aidés par l’Etat. En d’autres termes, les maitres d’œuvre ne seront plus protégés tant en termes de missions que de rémunération par le cadre juridique issu de ce titre II.
Au-delà de la marque de l’action de certains lobbys qui ne manquera pas d’être soulignée par certains, de telles dispositions seront avant tout la traduction des politiques publiques de soutien des domaines concernés, et avant tout du logement social.
Attendons le vote et la mise en œuvre de la loi ELAN... Mais plus que jamais se pose et se posera la question de la pertinence du maintien en tant que telle de la loi MOP dont tant le sens que le contenu ne cessent d’être usés par le temps.
Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé
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