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Le 10/01/2025 à 14h

Achat et commande publics : on continue de vivre une époque formidable

Les années passent et se ressemblent… cette nouvelle année qui s’ouvre pour la commande publique s’accompagne, comme toujours, d’interrogations sur ce qui attend les acheteurs et la sauce à laquelle ils vont pouvoir être mangés.

Les deux décrets 2024-1217 et 2024- 1251 publiés les 28 et 30 décembre derniers ont à la fois clôturé l’année passée et donné le la pour celle à venir : l’évolution des textes est et va rester constante, un peu comme un pendule de Foucault et son éternel mouvement.

Bien sûr, dès lors que ces évolutions sont motivées par des intentions louables, comme celle de la simplification des règles, elles ne sont pas contestables en soi ; même si on a ici et là la désagréable impression qu’on a de plus en plus tendance à s’éloigner de l’acte d’achat proprement dit, avec ses objectifs d’efficacité et de bonne gestion de l’argent public, au bénéfice d’autres objectifs dont celui de la protection de l’environnement et du développement durable.

Achat et commande publics : on continue de vivre une époque formidable

De l'utilité de la simplification

On peut aussi avoir le sentiment d’un simple saupoudrage, en tout cas au vu des derniers décrets, de mesures qui seraient donc plutôt des « mesurettes ».

Il convient néanmoins de dépasser cette première réaction, et de constater l’utilité de ces mesures.

Deux exemples permettent d’éclairer cette utilité :

- Le premier est issu du décret du 30 décembre 2024 portant diverses mesures de simplification du droit de la commande publique qui, entre autres, autorise la modification des groupements entre la remise des candidatures et la date de signature du marché - celle de la remise de l’offre finale aurait peut-être été plus pertinente - pour les procédures de négociation et de dialogue. Et toujours s’agissant des groupements, l’acheteur ne peut plus exiger une forme juridique déterminée sauf s’ils démontre que cela est nécessaire à la bonne exécution du marché.

Permettre des évolutions du groupement - par exemple en cas de défaillance d’un de ses membres ou plus simplement d’une volonté de quitter le groupement - en cours de procédure et éviter que les acheteurs imposent des formes de groupement - on pense à la solidarité notamment - inadaptées tant à la réalité du contrat en cause qu’à celle des entreprises composant ledit groupement traduit une réponse à des demandes de plus en plus pressantes de la part des opérateurs.

- Le second exemple fait partie d’un texte non encore entré en vigueur, qui doit encore être étudié par l’assemblée nationale après avoir été adopté par le Sénat. Il s’agit bien sûr du projet de loi de simplification de la vie économique qui, dans son volet commande publique, prévoit - enfin- d’unifier le régime des variantes, qui deviendraient autorisées sauf mention contraire dans les documents préparatoires notamment de publicité tant dans les procédures formalisées que les Mapa. La question que l’on pourrait légitimement se poser est pourquoi avoir attendu autant de temps pour proposer une telle mesure d’une simplicité biblique…sans doute est-ce symbolique du décalage qui peut quelquefois exister entre les textes et normes diverses qui s’appliquent aux acheteurs et les attentes de ces derniers au regard de leur pratique concrète de l’acte d’achat…

Toujours s’agissant de ce projet de loi, on est par contre quelque peu mitigé sur la mesure consistant à permettre gratuitement aux collectivités territoriales d’utiliser la plateforme de l’Etat PLACE… quel sera dans un tel cas de figure l’avenir des plateformes elles payantes ? On connaît par avance l’argumentation de défense du projet, dans la droite ligne de l’arrêt du Conseil d’Etat Ordre des Avocats du 31 mai 2006 où la création de la MAPPP n’avait pas été jugée contraire tant au droit de la concurrence qu’à la liberté du commerce et de l’industrie dès lors que, au-delà de la gratuité de ses interventions, elle mettait en œuvre une mission d’intérêt général « n’emportant pas intervention sur un marché ». Le doute est cependant permis s’agissant de cette problématique de plateforme…

Une révolution à attendre ?

Après, faut-il aller au-delà et espérer un vrai choc de simplification en matière de commande publique, en profitant de la période qui vient de s’ouvrir consacrée à la refonte des directives européennes de 2014 ?

Encore faut-il savoir ce que l’on entend par simplification.

- Une augmentation des seuils, notamment celui de 40.000 euros, de non mise en concurrence, ce qui d’ailleurs ne relève pas du champ des directives susvisées même si cela peut apparaitre- c’est d’ailleurs là tout le débat- contraire aux grands principes qui y figurent ? Pas certain que ce soit la solution la plus adéquate…

- Une extension du champ des marchés non soumis aux procédures de publicité et de concurrence, pour des raisons de souveraineté européenne, nationale, locale, les trois ? ou encore de sécurité énergétique ou alimentaire ? Sachant que l’Europe est pour le moment la dernière à résister au repli sur soi manifesté par l’ensemble des Etats et institutions du monde au travers de leurs textes relatifs à la commande publique, textes qui établissent un peu partout des discriminations de plus en plus claires notamment au travers de quotas en faveur des entreprises nationales. Mais là encore, est-ce une solution efficace et le risque n’est-il pas d’ouvrir la boite de pandore ? …

- Une diminution drastique du contenu et des prescriptions fixées par les directives- et par là même par leurs textes de transposition- qui se contenteraient d’établir des grandes lignes, un cadre reposant sur les principes de liberté-égalité-transparence issus des textes fondateurs sans imposer quoi que ce soit en termes de procédures, incitant simplement les pouvoirs adjudicateurs à mettre en œuvre des process d’achat garantissant un respect desdits principes au moins au-delà des seuils européens? Dans ce cas, autant supprimer le code de la commande publique…

Les limites du changement

« La pression irrésistible de la complexité et l’impossibilité d’y répondre en utilisant des modèles d’organisation et de gouvernement de plus en plus inadaptés nous forcent à innover. Que nous le voulions ou non, le changement devient un problème crucial pour nos sociétés ». Plus de 45 ans après, les textes de Michel Crozier- on ne change pas la société par décret - sont toujours d’actualité, tout particulièrement en commande publique.

Très bien. Comme dans d’autres domaines, innovons alors en achat public. Libérons et délivrons les acheteurs- et leurs prestataires -de carcans trop lourds empêchant des achats efficaces alors qu’ils sont un incontestable levier de politiques budgétaires dont la rationalisation est devenue une ardente obligation.

Il ne faut cependant pas négliger les écueils d’une telle évolution- révolution.

L’écueil politique tout d’abord. Victime de son succès, la commande publique est de en plus instrumentalisée par les décideurs politiques, chaque gouvernement - il suffit de regarder sur les 10 voire même 20 dernières années- essayant d’apporter sa pierre à un édifice qui se veut vertueux, dans le sens où il répond à des impératifs honorables, de la protection de l’environnement à celle des producteurs locaux en passant par celle des PME-TPE, des personnes en recherche d’emploi ou encore, sans être exhaustif, des produits « Made in France » en tout cas pour ce qui concerne notre propre pays.

Résultat : le code de la commande publique, dont on nous avait vanté le coté immuable, ne cesse non seulement de se modifier mais surtout de s’étoffer, à l’instar d’une inflation normative - le doublement des pages du Journal officiel en moins de 20 ans étant là pour en témoigner- dont on ne voit pas vraiment la fin malgré les récurrentes critiques dont elle fait l’objet.

Comment les politiques tant nationaux que locaux vont-ils pouvoir se désintéresser d’un domaine qui est un des socles de leurs orientations et choix stratégiques, et dont la transversalité permet de l’utiliser dans de multiples secteurs ? Là encore, la question mérite d’être posée…

Le second écueil est lié à l’humain. Est-ce vraiment la faute des textes si, ainsi que l’ont dénoncé le rapport de la Cour des Comptes Européenne d’octobre 2023 et le rapport Draghi de septembre 2024, les directives européennes marches publics et concessions n’ont pas eu les résultats attendus, notamment en matière d’effectivité de mise en concurrence ? Et à contrario, est-on vraiment certain qu’un assouplissement des normes entraînera mécaniquement une augmentation de cette concurrence ? Que les procédures seront plus adaptées et qu’elles répondront au mieux aux attentes tant des prescripteurs que des prestataires ?

Le cas récent des achats de voitures Tesla par une commune Française- Mandelieu la Napoule en l’occurrence - pour sa police municipale est topique à cet effet. A nouveau, est-ce vraiment la faute du code de la commande publique si les acheteurs de la collectivité ont acquis des véhicules de marque étrangère et non pas hexagonale ? N’y a-t-il pas plutôt un problème de définition des besoins, de détermination et de pondération de critères, d’analyse des offres ? De rédaction du cahier des charges, dès lors qu’il semblerait que les constructeurs Français n’aient pas répondu ?

Cet aspect humain et organisationnel est bien évidemment lié au politique. Les acheteurs publics - juristes, financiers, techniciens…- ne font qu’appliquer, même s’ils peuvent être force de proposition, les directives et orientations fixées par les responsables de leurs structures, qu’il s’agisse de maires et exécutifs de collectivités locales, de directeurs d’hôpitaux et autres établissements publics, de présidents d’universités… Cela ne doit pas les empêcher de mettre en place de véritables stratégies d’achat, en termes de formation initiale et continue, de cartographie des risques, de mise en place d’un service achat centralisé et disposant des moyens suffisants notamment pour assurer un contract management digne de ce nom…Quels que soient les textes en place, l’efficacité de l’achat public se mesure et se mesurera de plus en plus au travers de l’organisation structurelle et humaine qui sera mise en œuvre au sein de chaque entité acheteuse.

L’adage prêté à Jean Bodin « il n’est de richesse que d’hommes » est on ne peut plus adapté au domaine de la commande publique, et il convient de ne pas l’occulter à un moment où on cherche à faire évoluer son cadre juridique.
La période actuelle et à venir est donc à nouveau formidable pour l’achat public et ses acteurs. Et donc pour les futurs acheteurs qui souhaitent embrasser une profession où les besoins se font de plus en plus cruciaux.

Jean-Marc Peyrical
Avocat Associé, Cabinet Peyrical & Sabattier
Président de l’APASP, Association Pour l’Achat dans les Services Publics

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