Les acheteurs publics se retrouvent souvent dans la situation délicate où, suite à une résiliation anticipée où une décision de justice d’annulation, ils n’ont plus de marché public ou de concession pour assurer des prestations qui nécessitent pourtant une continuité vis à vis de leurs bénéficiaires ; à l’instar par exemple d’un contrat d’enlèvement d’ordures ménagères qui, pour des raisons bien compréhensibles, ne peut souffrir d’une quelconque interruption.
Il existe une solution juridique dans un tel cas, sous la forme d’une convention de gestion provisoire. Mais, dès lors qu’elle contrevient aux élémentaires règles de publicité et de mise en concurrence, elle doit bien évidemment être maniée avec une précaution certaine, ainsi que vient de le rappeler un arrêt récent du Conseil d’Etat.
La possibilité de souscrire une convention de gestion provisoire le temps de relancer une nouvelle procédure concerne surtout et avant tout les concessions de service, et notamment de service public qui sont les premières à être affectées par d’éventuelles interruptions d’exploitation, comme dans le domaine de la distribution de l’eau, des transports de voyageurs, de la restauration publique ou encore de la gestion d’équipements du type centres aquatiques.
Selon le Conseil d’Etat, « en cas d’urgence résultant de l’impossibilité soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public, conclure à titre provisoire un nouveau contrat de délégation de service public sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites »(CE, 4 avril 2016, CACEM). Sachant que le caractère «soudain» d’assurer ou faire assurer la continuité du service a par la suite été abandonné par le juge (CE, 14 février 2017, Société de manutention portuaire d’aquitaine, Grand Port maritime de Bordeaux), les conditions du recours à ce type de convention apparaissent en soi assez strictes, dès lors que l’acheteur doit démontrer une situation urgente, extérieure à lui et susceptible de porter une atteinte suffisamment grave à l’exécution d’un service public qui doit l’ être de façon continue. Ce n’est pas de la force majeure mais on s’en rapproche tout de même quelque peu s’agissant des marchés publics, d’ailleurs, l’article 30 du décret 2016-360 du 25 mars 2016-article R.2122-1 du Code de la commande publique-justifie la possibilité de ne pas respecter les procédures de publicité et de mise en concurrence préalables par « une urgence impérieuse résultant de circonstances extérieures », ce qui est un pas de plus vers la force majeure.
Le Conseil d’Etat ajoute dans son arrêt que « la durée de ce contrat ne saurait excéder celle requise pour mettre en œuvre une procédure de publicité et de mise en concurrence, si la collectivité entend poursuivre la délégation de service ou, au cas contraire, pour organiser les conditions de sa reprise en régie ou pour en redéfinir la consistance ». L’acheteur public doit donc être de bonne foi et donc, d’une part, lancer ou relancer rapidement une procédure pour assurer la gestion du service en cause tout en, calquant, d’autre part, la durée de la convention provisoire avec celle estimée de cette procédure, en essayant de tenir compte des aléas susceptibles d’affecter cette dernière...
La règlementation a transposé une telle jurisprudence. Ainsi, l’article R-3121-6 du Code de la commande publique qui va entrer en vigueur le 1er avril prochain reprend des termes identiques s’agissant des contrats de concession pouvant être conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables.
Même si le texte ne le prévoit pas dans les mêmes termes, ces dispositions sont sans nuls doutes applicables aux marchés publics se trouvant dans une situation similaire, s’agissant tout particulièrement des marchés de service public dont l’objet s’apparente à celui des concessions.
Un arrêt du Conseil d’Etat du 5 février 2018, Société Clear Channel et société Exterion Média, est venu rappeler le caractère exceptionnel de telles conventions provisoires.
S’agissant tout d’abord de l’exigence relative à l’intérêt général, elle ne peut se circonscrire à la présence d’un intérêt financier ; s’agissant en l’espèce d’un risque de perte de redevances perçues au titre d’un contrat de concession pour l’exploitation de mobiliers urbains annulée par une décision juridictionnelle, un tel risque n’étant pas d’une gravité telle qu’il justifierait le non-respect des règles de publicité et de mise en concurrence.
Ensuite, le Conseil d’Etat rappelle que la situation d’urgence dans laquelle se trouve l’acheteur doit être réellement indépendante de sa volonté ; un des indices de cet impératif se retrouvant dans la diligence avec laquelle il lance une nouvelle procédure de passation suite à l’annulation de la précédente. Dans ses conclusions sous cet arrêt, le rapporteur public Gilles Pelissier indique cependant que l’appréciation du juge sur le comportement- et donc à nouveau la bonne foi- de l’acheteur doit s’apprécier au cas par cas, en fonction notamment de « l’importance de l’intérêt général qu’il s’agit de sauvegarder ». Il est ainsi envisageable que la « négligence » de la personne publique dans le temps pris pour relancer une nouvelle procédure soit regardée avec une certaine bienveillance lorsque la convention de gestion provisoire constituerait « le seul moyen d’assurer un service absolument indispensable aux intérêts essentiels de la population ».
En l’espèce, il a été jugé que, même sans convention provisoire, la continuité du service public de l’information municipale n’était pas fragilisée d’une manière suffisamment grave, d’autant que la ville disposait d’une grande diversité de moyens de communication que ce soit par voie électronique, sous la forme d’affichage ou de distribution de magazines.
Enfin, dans la droite ligne de sa jurisprudence rendue en la matière, le Conseil d’Etat insiste sur le fait que la durée de la convention provisoire ne peut excéder celle de la nouvelle procédure de passation lancée- ou bien celle correspondant aux modalités de reprise du servie en régie si c’est ce choix qui est fait-. Sur ce point, il est nécessaire d’insister à nouveau sur les aléas pouvant affecter ladite procédure, aléas du type, sans même évoquer des situations d’infructuosité, adaptations du cahier des charges en cours de procédure ou négociations nécessitant davantage d’étapes que prévu, pouvant faire déraper le calendrier de la mise en concurrence. Du coup, tout en restant bien sûr raisonnable sur l’estimation de cette durée, les acheteurs doivent se donner un peu de marge et ne pas s’enfermer dans un temps de passation trop restreint.
Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé, Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Président de l’APASP
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