Les acheteurs publics et les opérateurs économiques sont évidemment sous le choc des conséquences de l’épidémie du COVID19 qui frappe de plein fouet leurs professions et activités et des mesures gouvernementales prises à cet effet. Une ordonnance de modification du code de la commande publique venant d’être publiée, sans doute est-il temps de faire partager quelques constats mais aussi, pistes de réflexion en cette période particulièrement troublée de l’action publique et de la vie économique.
L’article publié ce jour se concentrera sur le contexte actuel et son impact sur l’achat public. Un article prochainement publié tracera lui des pistes d’avenir, sur l’achat public de l’après corona virus.
Depuis le 16 mars, plus d’écoles, de collèges, de lycées, ni d’universités : ce sont autant de marchés qui se ferment, à commencer par ceux relatifs à l’approvisionnement des cantines et autres restaurants publics ; Ce qui, en plus du personnel prévu, traduit des pertes sèches pour des entreprises ayant anticipé des approvisionnements en matières premières. On peut bien sur aller beaucoup plus loin et y inclure tous les marchés de fournitures, services et même travaux qui sont régulièrement souscrits pour permettre un bon fonctionnement des établissements en cause.
Depuis le 17 mars, une période de confinement quasi-total, pour le moment sans véritable limite- et donc de mise en sommeil des collectivités publiques et para publiques bien au-delà du scolaire et de l’universitaire : une évidente difficulté pour ne pas dire plus pour les prestataires de fournitures et de travaux, même si certaines exceptions liées à la nature des prestations rendues ont été prévues. C’est peut-être un peu moins délicat pour les prestataires de services intellectuels, qui peuvent utiliser le télétravail dans le cadre de leur activité. Pour prendre un exemple concret, les carreleurs pourraient continuer à travailler, bien sûr en respectant les consignes de protection édictées par le gouvernement ; mais dès lors qu’ils s’approvisionnent en grande partie en Italie, leur profession est mécaniquement à l’arrêt... si tant est bien évidemment qu’ils puissent accéder aux sites et disposer de l’effectif nécessaire au bon déroulement de leur mission.
- Celle des situations d’urgence impérieuse et donc de la passation de marchés sans publicité ni mise en concurrence. Cela concerne bien sûr et avant tout de nombreux achats hospitaliers, en lien direct avec l’épidémie et ses conséquences en termes de besoins- manifestement pas tous bien anticipés d’ailleurs, au vu de la pénurie récurrente de masques de protection et autres équipements respiratoires- mais aussi par exemple de besoins d’études et de consultations dans différents domaines, comme celui évoqué ci-après des difficultés d’exécution de marchés publics et concessions en cours, tant pour les collectivités publiques que pour les entreprises. Les acheteurs ne devront bien évidement pas en abuser- en toute rigueur, cela ne devrait concerner que les achats en lien direct avec l’épidémie- mais de telles procédures feront elles l’objet de véritables contrôles en cette période inédite de difficultés économiques ? En d’autres termes quid du risque contentieux pour ceux qui lanceront de tels marchés ?
- Celle des discussions acheteurs -entreprises sur l’évolution des contrats : quelle prise en compte de l’impact des fermetures et confinements susvisés sur les marchés de fournitures de denrées alimentaires, les chantiers de construction et de maintenance de bâtiments publics, les contrats de transports scolaires, les concessions d’exploitation de centres aquatiques, culturels ou événementiels ? En guise d’exemple, comment va faire la SEM exploitante du palais des festivals de Cannes après les annulations ou reports- par nature aléatoires- de manifestations essentielles dont l’emblématique festival du cinema, sachant que, dans de tels cas, les assurances n’interviendront que très rarement ?
Étude au cas par cas des possibilités de faire jouer la force majeure, l’imprévision ou les clauses légitimes, tout dépendra à la fois de la bonne volonté des parties et notamment des acheteurs mais aussi et surtout de la rédaction des contrats, le cas des clauses légitimes-pas toujours rédigées avec une précision suffisante- étant particulièrement parlant en la matière. Pour donner là encore un exemple concret et évoquer d’ores et déjà le futur, les parties à un contrat d’exploitation de centre aquatique pourraient réfléchir sur son évolution en terme de partage entre activités rentables et non rentables- une évolution de l’utilisation par les scolaires compte tenu du contexte par exemple-, sur les tarifs et droits d’entrée, sur le périmètre temporel et géographique d’utilisation des locaux, sur le montant des versements au titre de l’occupation domaniale...Et s’agissant de l’imprévision, que tout concessionnaire de bonne foi va évidemment tenter de faire prévaloir, il n’est en tout cas pour le moment pas évident de faire prévaloir un bouleversement de l’économie du contrat- pour un déficit d’exploitation ou des pertes de recettes commerciales supérieurs à un pourcentage prévu dans le contrat par exemple- sur quelques semaines voire même de quelques mois au regard de la durée dudit contrat...
S’agissant des acheteurs, et sachant que bon nombres d’entre eux ont d’ores et déjà pris des dispositions en la matière sans même attendre l’intervention du gouvernement, sans doute est-il de bon sens , à minima, de reporter le plus possible le délai de réception des offres s’agissant des procédures en cours, prolonger dans la mesure du possible et en application des CCAG , les délais d’exécution et de livraison applicables aux marchés, ne pas appliquer de pénalités de retard liées au dépassement de tels délais, éviter les résiliations anticipées, non seulement pour faute- sauf faute particulièrement grave bien entendu- mais aussi et surtout pour motif d’intérêt général, l’intérêt général étant justement dans ce contexte particulier de préserver les accords contractuels en cours ; ou encore, mais cela relève de l’évidence, respecter le plus scrupuleusement possible les délais de paiement, ce qui risque néanmoins de se heurter au manque de moyens et de personnels tant au sein des ordonnateurs que des payeurs…
Une ordonnance vient de prendre le relai de ces règles et comportements de bon sens-ordonnance 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie du COVID19, JO 26 mars n°43-, en application de la loi 2020-290 d’urgence sanitaire du 23 mars. Une telle célérité du gouvernement prouve bien l’importance accordée à la commande publique et son impact auprès des collectivités et des entreprises.
Elle assouplit considérablement certaines règles de passation et d’exécution tant des marchés publics que des concessions sur une période susceptible d’être très longue. Sont en effet concernés les contrats en cours ou conclus à compter du 12 mars jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire. Non seulement on ne connait pas à ce jour le temps de cet état d’urgence -l’article 4 de la loi du 23 mars indique 2 mois mais prévoit la possibilité de proroger un tel délai- mais l’ordonnance augmente cette période de deux mois. Autant dire que les acheteurs vont devoir s’habituer à de nouvelles pratiques qui risquent de s’inscrire dans la durée.
Synthétiquement, les assouplissements en cause sont les suivants :
- Les acheteurs peuvent prolonger les délais de réception des candidatures et des offres « d’une durée suffisante ».
- Ils ont la possibilité d’aménager en cours de procédure les modalités de la mise en concurrence « dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats ».
- Les contrats arrivés à terme peuvent être prolongés par avenant pendant la durée d’état d’urgence susvisée « lorsque l’organisation d’une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre » ; et s’agissant des contrats de concession, cette prolongation est dispensée de l’avis préalable de l’autorité de l’État.
- Les avances peuvent aller au-delà de 60% du montant du marché et il n’est plus obligatoire de demander la constitution d’une garantie à première demande au-delà de 30%.
- En cas de difficulté d’exécution, le délai peut être prolongé à la demande du titulaire. Si ce dernier ne peut pas, notamment par manque de moyens, exécuter tout ou partie de ses prestations, il ne peut être sanctionné à cet effet et l’acheteur peut même passer un marché de substitution avec un autre opérateur pour des prestations ne pouvant souffrir d’aucun retard.
- En cas d’annulation d’un bon de commande ou de résiliation d’un marché du fait des mesures prises par le gouvernement dans le cadre de l’état d’urgence, le titulaire peut être indemnisé de ses dépenses engagées ; et il doit être réglé sans délai des sommes qui lui sont dues en cas de suspension de son contrat, un tel règlement prenant la forme d’une avance dans le cas d’un contrat de concession. Et toujours s’agissant des concessions, le titulaire a droit à une indemnité si le concédant est conduit à modifier substantiellement les conditions d’exécution du contrat.
Si bon nombre de ces mesures ont pour objet de soulager la trésorerie des entreprises, la plupart d’entre elles sont relativement floues et laissent aux acheteurs une marge de manœuvre appréciable qu’il s’agisse de l’aménagement ou de la prolongation des procédures et contrats en cours ou des mesures à prendre en cas de difficultés d’exécution des contrats. C’est donc une sorte de pacte de confiance que le gouvernement a souhaité souscrire avec les acheteurs. Jamais peut être les obligations de compétence et de diligence qui sont les leurs n’auront été aussi essentielles, de même que le duo liberté-responsabilité qui est intrinsèquement attaché à l’exercice de leur profession. Cette confiance dans les acheteurs publics est fondamentale dès lors que, à l’instar des procédures négociées sans mise en concurrence susvisées, on peut s’interroger sur la portée des contrôles de légalité sur les assouplissements évoqués ici dès lors qu’ils sont le fer de lance d’une politique de soutien urgent et massif aux entreprises touchées par le contexte sanitaire…
- Autre multiplication à attendre : celle, déjà en plein développement, des modalités de règlement amiable des litiges entre acheteurs et opérateurs: nul doute en effet que bon nombre des échanges et discussions susvisés soit n’auront pas lieu, soit ne se termineront pas par un accord satisfaisant pour les deux parties; et que ces dernières s’orienteront donc vers des mécanismes de médiation divers et variés... on peut ainsi parier sur une accélération massive des dossiers soumis à la médiation des entreprises dont on connait la célérité des interventions dans le règlement des litiges entreprises-acheteurs publics... sachant bien entendu que d’autres médiateurs seront prêt à relever le défi, dont évidemment les avocats. Cela suffira-t-il à éviter un engorgement des tribunaux compétents ? Rien n’est moins sûr…
Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé, Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Président de l'APASP, Association Pour l'Achat dans les Services Publics
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