Le gouvernement vient d’annoncer son plan de relance qui vise à la fois à soutenir l’activité et l’emploi dans les territoires et à moderniser le pays dans la perspective de la transition écologique.
Dans ses déclarations, le Premier ministre a aussi manifesté le souci que les procédures notamment liées à la commande publique ne retardent ni ne compliquent la réalisation effective des projets. Il s’agit là d’un vrai sujet dans un pays où trop souvent le code de la commande publique est mal ou sous-utilisé, parfois par manque d’information, parfois par excès de frilosité.
Le pays de Descartes est d’ailleurs bien paradoxal en la matière. Certes, il est largement l’inventeur des contrats globaux qui ont permis depuis des siècles, la réalisation de ses villes et ses infrastructures et qui font aujourd’hui le rayonnement des groupes français partout dans le monde. Certes, il dispose d’une boîte à outils juridique étoffée du fait de cette grande tradition nationale et des apports du droit européen. Mais pour autant, ces atouts sont largement sous-exploités, alors même qu’ils représentent une véritable chance d’atteindre tout à la fois les objectifs de la relance et de la transition écologique.
C’est en ce sens et dans ce contexte que les deux auteurs signataires du présent article ont partagé leurs réflexions sur des pistes concrètes, qui sont présentées ci-après.
Le terme même de partenariat public-privé- PPP- n’a pas-plus- vraiment le vent en poupe. Il est vrai que certaines opérations souscrites sous la forme de Baux emphytéotiques administratifs ou de contrats de partenariat-versus ordonnance du 17 juin 2004- ont connu des échecs retentissants, relayés ici et là par des rapports de la Cour des Comptes ou par des médias bien intentionnés. S’il ne faut pas bien entendu nier la réalité de ces échecs, peut être faudrait il les rapporter et les comparer aux dérapages de tous ordres qui ont affecté et continuent d’affecter les opérations en maîtrise d’ouvrage publique, qui plus est lorsque la conduite des projets est éclatée entre des dizaines d’intervenants sans réel chef d’orchestre... nul doute que le comparateur ne serait-ce que statistique n’irait pas en la faveur de la formule contractuelle que l’on croit...
Toujours est-il que le PPP, si on l’entend avant tout comme un partenariat financier et un partage des risques quelle que soit la forme qu’ils prennent, est aujourd’hui difficilement contournable pour mener à bien des opérations d’utilité publique. La concession, grâce à laquelle bon nombre de nos équipements et réseaux publics existent aujourd’hui et ce depuis plusieurs siècles, est revenue en grâce auprès des décideurs publics et est justement l’archétype du partenariat secteur public-secteur privé. Encore faut-il que les contrats de concession reposent sur un modèle économico-juridique à la fois solide et équitable entre les co-contractants ; et que, notamment, un partage des risques et responsabilités équilibré soit trouvé entre elles, sans quoi la voie concessive ne peut qu’être vouée à l’échec.
Entre le marché public classique et la concession, il a longtemps manqué un outil que le PPP est venu combler. Son heure est peut-être venue dans la mesure où il permet d’accélérer la relance, d’assurer à très grand effet de levier aux financements publics par le mécanisme du paiement différé, et enfin de mobiliser une épargne privée aujourd’hui abondante. Avantage non négligeable, lorsqu’il faut aller vite et mener plusieurs projets de front, le PPP fait porter aux entreprises la charge de la maîtrise d’ouvrage.
Mais ne pourrait-on pas aller plus loin et profiter de cette période où la relance économique est une ardente obligation pour assouplir les formes de PPP existantes, ne serait-ce que de manière temporaire ? Pourquoi ainsi ne pas faire revivre le Bail Emphytéotique Administratif-notamment sous sa forme montage « aller-retour » - pour mener à bien des projets d’intérêt général comme des groupes scolaires, des équipements sportifs ou encore des équipements à vocation culturelle? Pourquoi se contenter de le maintenir dans des secteurs bien identifiés à l’instar de la police, la gendarmerie, la défense, les établissements pénitentiaires ou, sans être exhaustif, la société du Grand Paris - art.L.2171-4 du code de la commande publique - alors qu’ils ont pendant des années fait leurs preuves dans des opérations de construction ou de rénovation locales pour lesquelles un tel outil de préfinancement d’équipements publics apparaît particulièrement adapté ?
Oserait-on aller plus loin et solliciter de nos gouvernants - qui, rappelons-le, ont en charge la mise en œuvre du Green deal à la Française - un assouplissement lui-même temporaire des conditions de recours au marché de partenariat - art. L.2200-1 et s. du code de la commande publique - ? La démonstration d’un bilan avantages inconvénients favorable- ce qui est la plupart du temps le cas- au contrat puis marché de partenariat est-elle vraiment indispensable, ne serait-ce qu’au vu du temps nécessaire pour sa réalisation que de la portée de son contenu ? Par contre, et même si certaines collectivités sont récalcitrantes à ce sujet, maintenir la soutenabilité budgétaire et donc la démonstration que lesdites collectivités ont la surface financière suffisante pour mener à bien leur PPP nous parait indispensable afin d’éviter des situations de dérapage financier. Mais pour ce type de contrat comme pour d’autres, la clé de la réussite réside avant tout dans l’organisation et la gouvernance qui lui sont dédiés, tant du côté des personnes publiques que des opérateurs économiques.
Promouvoir le partenariat public-privé au service de la relance c’est aussi relancer des coopérations structurelles du type SEMOP qui n’ont pas rencontré un franc succès jusqu’ici ; alors qu’il s’agit d’un mécanisme dont l’intérêt n’est pas à nier dès lors qu’il permet aux collectivités publiques d’externaliser leurs opérations et donc de les confier à des opérateurs sachants et compétents tout en assurant la maîtrise et le contrôle de leur déroulement. Il est vrai que la procédure SEMOP- qui cumule en fait deux procédures, l’une relative au choix de l’opérateur économique et l’autre à la constitution de la structure d’économie mixte qu’il devra intégrer en tant qu’actionnaire principal ou non- peut apparaître lourde et relativement complexe à mener. Comme toujours, tout est question d’organisation et de moyens humains, techniques et financiers dédiés à l’opération ...
L’ingénierie contractuelle, c’est aussi savoir utiliser et profiter des mécanismes contractuels existants et qui peuvent se révéler fort efficaces. On pense notamment ici au marché global de performances qui rencontre un succès sans doute mérité au sein des collectivités locales. Sans doute faudrait-il ne pas le limiter aux engagements de performance énergétiques, ce qui est encore trop souvent le cas ; son volet performanciel, ce qui en fait une grande partie de son intérêt, pouvant être beaucoup plus large et toucher bien d’autres domaines, comme celui de la qualité des constructions mais aussi de la maintenance-exploitation des équipements.
Et utiliser les outils existants, c’est également recourir encore davantage à la « respiration contractuelle » qu’est la clause de revoyure ou de réexamen, mais aussi aux modes alternatifs de règlement amiable des litiges qui permettent avec une efficacité de plus en plus reconnue d’éviter des contentieux souvent longs et dont l’utilité reste souvent à prouver.
Valoriser un tel patrimoine passe d’abord par la case de sa connaissance. Déterminer ce qui relève du domaine public ou du domaine privé en fonction de l’affectation des biens, différencier les biens meubles et immeubles, le bâti et le non bâti, et plus généralement la propriété publique ou non de tel ou tel terrain ou équipement. De telles déterminations apparaissent évidentes vu de l’extérieur mais les audits patrimoniaux menés ici et là au sein de structures publiques comme les collectivités locales, les établissement de santé et de retraite mais aussi les services tant centralisés que déconcentrés de l’État en passant, là encore sans être exhaustif, par les établissements scolaires et universitaires où la méconnaissance patrimoniale est souvent criante. Et pourtant, une telle maîtrise patrimoniale revêt bien des atouts: rationalisation des charges d’entretien et de maintenance, renforcement des performances énergétiques des équipements et de leur coût global dans le temps, valorisation financière et élaboration de stratégies de gestion, d’occupation et de cession... le patrimoine des collectivités publiques peut ainsi être un formidable levier financier pour leurs investissements - par exemple en faveur du développement durable -, levier encore trop méconnu à ce jour alors qu’il est assez aisé à mettre en œuvre dans le cadre de l’élaboration de schémas directeurs immobiliers.
S’agissant plus particulièrement de la cession, certains responsables de collectivités semblent avoir du mal à en accepter l’idée. Il peut pourtant s’agir là encore d’un levier financier très efficace dans le cadre tant d’opération sous forme de partenariat public-privé du type concessions- surtout si elles comprennent un volet réalisation d’un programme immobilier annexe- ou de marché global de performance.
L’innovation peut être très présente dans les contrats de la commande publique. Bon nombre de ces contrats sont en effet susceptibles d’être innovants, dès lors que l’innovation est entendue largement au travers de produits, méthodes ou procédés nouveaux ou sensiblement améliorés, ce qui laisse une marge certaine aux acheteurs souhaitant se lancer dans l’aventure de l’innovation. Et les outils contractuels permettant de le faire, des marchés sans concurrence en dessous de 100.000 euros aux marchés négociés quel qu’en soit le montant lorsque le besoin consiste en une solution innovante en passant par le partenariat d’innovation, sont suffisamment riches pour pouvoir être utilisés à bon escient. S’agissant tout particulièrement du partenariat d’innovation, qui permet de confier à un seul opérateur toute la chaine de la mise en œuvre d’un produit ou d ‘un service jugé innovant de la phase recherche-développement à celle de l’exploitation, elle peut se révéler très efficace si l’acheteur public concerné prend conscience de la nécessité de se mobiliser en conséquence tant pour sa passation que le suivi de son exécution et d’effectuer un vrai sourcing d’opérateurs en amont du lancement de la procédure.
Favoriser l’innovation c’est aussi transposer dans notre système juridique des formes contractuelles utilisées dans d’autres pays. Des offres spontanées, utilisées en leur temps dans le cadre des contrats de partenariat, au mécanisme dit « d’Early Contractor Involvment » - ECI - dans lequel l’entreprise participe à la conception dès la phase de définition du projet en passant par les contrats de construction collaboratifs- Integrated Project Delivery-IPD-, les mécanismes sont nombreux et pouvant se révéler efficaces tant pour les donneurs d’ordres que pour leurs prestataires. Les entreprises françaises ont d’ailleurs développé, partout dans le monde, une capacité à répondre ainsi au mieux aux projets de leurs clients publics et privés Encore faut-il s’intéresser à ce qui se passe ailleurs et avoir la volonté et la persévérance de tenter de l’appliquer chez soi.
D’une façon générale, l’association des entreprises le plus en amont des projets permet de les optimiser et de gagner du temps. Les marchés de conception-réalisation en administrent d’ores et déjà la preuve quotidienne dans nos territoires.
Le choix des bons outils contractuels conditionne ainsi la rapidité et l’effectivement de la relance. Ils peuvent aussi contribuer fortement à l’atteinte de l’un de ses objectifs : accélérer la transition écologique de notre pays. Depuis maintenant plusieurs années, la boîte à outils de la commande publique comporte par exemple le marché global de performance déjà évoqué dans ces colonnes. Le moment est venu d’oser en faire une pleine utilisation. Ce type de contrat donne à son utilisateur un garant qui s’engage sur ses deniers au service - entre autres puisque les objectifs performanciels peuvent être très divers - de la performance écologique d’un projet de construction, de rénovation et d’exploitation d’un équipement. Sans de tels engagements, le risque est parfois grand de voir les meilleures intentions écologiques ne devenir qu’un simple affichage. C’est justement le syndrome du Green Washing.
D’autres outils existent comme le Contrat de performance énergétique (CPE), créée par le droit européen et par lequel une entreprise s’engage aussi sur l’atteinte d’objectifs quantifiés. Dans le cadre du Green Deal, Bruxelles exhorte les Etats membres à s’en saisir notamment pour mobiliser les financements privés. A cette fin et pour augmenter encore l’effet de levier du plan de relance, pourquoi ne pas expérimenter à l’ensemble des personnes publiques l’élargissement du paiement différé des CPE, comme cela existe déjà par exemple pour la rénovation énergétique des sociétés de HLM ?
La réussite de la relance et de la transition verte sont affaire de finances certes mais aussi affaire de droit et plus encore, d’une réelle volonté d’en faire usage.
Jean-Marc Peyrical
Maître de conférence et directeur de la Chair Achat Public à l’Université de Paris-Saclay
Avocat associé
Président de l’APASP
Philippe Mazet
Délégué général d'EGF.BTP
Maître de conférence de droit public à Sciences Po
2024 - L’ACHAT PUBLIC ENTRE AVERTISSEMENTS, PROMESSES ET DEFIS
L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
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Ce fut la bonne nouvelle du printemps : le marché global de performance, jusque-là bridé par le sacro-saint principe d’interdiction de paiement différé, a enfin vu son régime assoupli sur ce point par la loi 2023-222 du 30 mars dernier. Certes limité aux travaux de rénovation énergétique - un domaine où les besoins sont évidemment immenses -, et pour une période expérimentale de 5 ans, cette possibilité tant attendue par les acteurs tant publics que privés de la construction de pouvoir étaler les paiements des investissements a été perçue comme une véritable bouffée d’air. Pourtant, du fait d’amendements déposés pendant l’étude du texte, la montagne risque d’accoucher d’une souris. C’est bien dommage : le secteur de la construction et de l’aménagement aurait bien mérité de bénéficier d’un outil simple et efficace à une époque où l’environnement tant national qu’international ne lui apporte pas que de bonnes nouvelles.
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