Christine Bost, la vice-présidente chargée de l'aménagement urbain et naturel et du foncier opérationnel à Bordeaux Métropole, présidente directrice générale de la Fab et maire d'Eysines.
Propos recueillis par Marine Coelho, journaliste de Cadre de Ville, le 22 décembre 2020.
A la métropole, vous êtes chargée de l'aménagement urbain et naturel et du foncier opérationnel. Pour quelles raisons ces missions sont-elles réunies dans une même délégation ?
Je suis plus que convaincue que la stratégie foncière est un élément majeur de la réussite du projet. Aujourd'hui, mais surtout demain et après-demain. Il est nécessaire de construire la stratégie foncière, par anticipation, en termes de prospective du PLU afin que les écueils rencontrés dans la métropole ne se renforcent pas, et voire même que l'on assiste à un ralentissement ou un recul. En matière de prix de sortie de logement, par exemple. Par ailleurs, on a tenu à spécifier l'aménagement naturel dans cette délégation pour donner un signal. Nous n'avons pas des espaces de nature d'un côté et du béton de l'autre. La période que nous traversons renforce cette vision nécessaire de la ville. Le logement est aussi important que l'extérieur, la façon dont on va opérer sur la parcelle est importante : il y a des arbres, des éléments de nature, qu'en fait-on ? Comment les intègre-t-on ? Ce n'est pas un projet qui se pose de la même manière sur une parcelle à Bordeaux que sur une autre à Gradignan. Chaque foncier donne des obligations.
Comment allez-vous vous répartir ces missions avec Bernard Blanc, vice-président aux stratégies urbaines et adjoint au maire de Bordeaux chargé de l'urbanisme résilient ?
On travaille ensemble sur le PLU, la place de la nature dans les aménagements... Et en tant qu'adjoint à l'urbanisme à Bordeaux, il est très attentif aux enjeux des opérations bordelaises.
L'élu bordelais est rapidement monté au créneau en affichant clairement sa volonté de tout remettre à plat, notamment à Brazza
Comment gérez-vous cela en tant que l'élue en charge du dossier ?
Ni lui, ni moi ne sommes là par hasard. Nos parcours et notre appétence pour cette matière qui fait la ville l'expliquent. Je ne suis pas surprise des prises de position de Bernard Blanc. L'équipe de Pierre Hurmic a aussi été élue pour cela, avec cette nécessaire réorientation. C'est riche. Plus on va travailler ensemble et mieux ce sera : nous n'avons pas la même expérience, je suis maire, j'ai déjà travaillé sur les sujets d'aménagements urbains dans mon premier mandat entre 2008 et 2014 (50 000 logements). Ce n'est pas pour rien que l'un soit sur le stratégique et l'autre sur l'opérationnel. Mais naturellement, nous travaillons ensemble. Je ne vais rien faire sur Bordeaux sans en parler avec lui ou le maire, même chose pour les autres communes. Je suis extrêmement respectueuse du choix démocratique des habitants. Après, il y a des enjeux de production de logements, de prix de sortie, de qualité, de coûts... Les maires sont des pivots indispensables, ce sont eux qui signent les permis de construire. Les choix doivent correspondre aux projets et à l'identité de la commune, ainsi qu'aux enjeux de la métropole.
Brazza, justement, va connaître des changements : nouvelle équipe renforcée, nouvelle méthodologie, refonte de l'opération... Pouvez-vous détailler ?
La nouvelle équipe bordelaise a voulu prendre le temps de se réapproprier un projet qui ne correspondait plus à ce qu'elle souhaite. On est en train de récupérer cela. La métropole vient de mobiliser un foncier important au début du quartier pour le compte de la commune : un îlot d'un hectare avec 300 logements prévus. La première moitié avait déjà été préemptée ; les 200 logements prévus y sont maintenus. Nous retravaillons le plan-guide sur la deuxième partie avec l'idée d'avoir un poumon vert. Par ailleurs, nous allons voter au premier trimestre la DUP foncière. Quand un foncier sera mis à la vente, nous aurons un droit de préemption renforcé. Ce que nous pouvons transformer aujourd'hui, nous allons le transformer ; 40 % des permis sont délivrés ou pré-délivrés. La nomination de la nouvelle équipe est également en cours.
Jean-Marc Offner, directeur de l'Aurba, a estimé il y a peu de temps qu'à trop être concentrée sur les prix de sortie, la Fab oubliait l'ambiance (l'occupation de l'espace par les usagers, l'animation d'un lieu...) nécessaire à la réussite des nouveaux quartiers autour des stations de tramway. Qu'en pensez-vous ?
Les prix de sortie des logements sont un élément majeur car ce qui doit nous préoccuper, ce sont les personnes pour qui nous faisons la ville. Je ne veux pas d'une ville qui exclut, or, aujourd'hui elle empêche un couple de profs qui débute avec un ou deux enfants d'accéder à la propriété.
Quels sont les outils pour renforcer cette politique ?
On va arrêter avec les nouveaux outils car nous en avons plein, mais nous allons devoir assurer une meilleure synergie entre eux. Certains ont été mis en place beaucoup trop tard comme l'établissement public foncier. Je fais partie de ceux qui dès 2008 se sont battus contre Alain Juppé qui ne voulait pas d'EPF pour des raisons purement dogmatiques, liées à la mise en place d'une fiscalité supplémentaire. Donc on a perdu 10 ans par rapport à d'autres métropoles. L'EPF et le budget que la métropole peut inscrire pour faire de la mobilisation foncière, tout comme les autres partenaires, sont des leviers extrêmement importants pour dire aux promoteurs et parfois même aux bailleurs : "on arrête de faire n'importe quoi sur le foncier" car derrière, cela se répercute sur les prix de sortie, la qualité des logements...
Reprendre et garder la main sur l'urbanisation de la ville semble être un message fort de la Métropole...
Il faut construire une culture commune portée par les élus, les techniciens de la métropole. Il faut aussi la construire avec les promoteurs, les architectes, les bailleurs... Cela doit être renforcé. On avait commencé : c'est ce qu'a fait la Fab pendant ces dix dernières années, en plus du travail d'InCité, de l'Aurba, du Sydau... Et nous avons aussi l'ingénierie métropolitaine et celle des communes, un réseau d'architectes, d'urbanistes... Il faut mettre tout cela au service d'une ville qui n'exclut pas. Dans laquelle on a envie d'habiter.
Par rapport aux positions de certaines communes sur l'urbanisation, ce mandat n'est-il pas plus compliqué ?
Il y a plein de paradoxes. Déjà la préoccupation est de répondre aux demandes, à tous les types de demandes. Les gens sont pris entre deux étaux : il faut du logement, mais on ne veut pas de constructions près de chez nous. D'où l'intérêt de construire une culture commune. L'enjeu de ce mandat c'est comment mieux associer les habitants aux prises de décision, via des ateliers pour arriver à une meilleure compréhension des choses. Comment la co-construire avec eux. Il faut démystifier la question de la densité... Le triangle [d'Or] bordelais est dense, peut-être plus que certains quartiers d'habitat social. C'est une question de rythme de la ville. Notre boulot est de travailler de la toute petite échelle - du logement - jusqu'à la métropole. Qu'est-ce qu'un logement ? Traversant, avec de l'espace, des entrées de lumière... On doit faire ce travail avec les architectes. Et après, on élargit : où sont les commerces... ?
Est-ce une nouvelle approche ?
Ce que l'on fait avec la Fab, c'est réfléchir à toutes ces échelles. Mais elle ne fait pas toute la ville. Alors comment utiliser ce référentiel ? Et quand je parle de faire culture, c'est cela qu'il faut arriver à transposer. Quand on arrive à sortir du logement à 2 500 €/m², ils sont vendus avant même le premier coup de pioche. Donc ça marche car le promoteur fait aussi des économies sur la commercialisation, il n'aura pas acquis le foncier à un prix exorbitant qui fait gonfler artificiellement le prix du logement, on ne va pas travailler uniquement sur des produits de défiscalisation qui font aussi augmenter artificiellement les prix des logements... Comment on transforme la façon de produire ? Nous voulons faire école auprès des autres partenaires. Ce qui va être important pour nous dans ce mandat, c'est la construction de cette culture commune.
Concernant la Fab, le président de la métropole Alain Anziani avait d'ailleurs évoqué le besoin de "faire revivre" le projet " Habiter, s'épanouir - 50 000 logements accessibles par nature ". Qu'attend-t-il de vous ?
A partir de tout ce que nous avons pu démontrer, capitaliser, il s'agit de savoir maintenant comment on opère. Aujourd'hui, nous devons rendre cela opérationnel. Maintenant il faut emporter tous les acteurs et les habitants sur la façon de faire une ville de qualité.
La fin des grandes zones d'aménagement bordelaises est-elle une source d'inquiétude pour vous ?
Il y a des erreurs qui ont été commises et il faut éviter de recommencer... Quand je regarde un projet, je me demande toujours si j'aurais envie d'y vivre. Du côté de Ginko ou des Bassins à Flot, je n'aurais pas envie d'y vivre et pour d'autres, j'aurais envie, mais pas les moyens... Il faut reconstruire la ville sur la ville et c'est ce qui se fait dans le diffus. Et les grandes zones d'aménagement ne peuvent pas être la réponse unique.
Y a-t-il des projets métropolitains qui, selon vous, feraient office d'exemple ?
La ZAC des Carès à Eysines au terminus de la ligne D, est intéressante. On y travaille depuis plus de 15 ans. Cet endroit est une zone de captage des sources. En 2006, un arrêté préfectoral a autorisé la constructibilité avec la demande que tout soit étanche. Il y avait 700 ou 800 logements sur 35 ha. En devenant maire, je me suis dit qu'il fallait réfléchir différemment. On a réinterrogé le projet avec Alexandre Chemetoff, on est allés sur site, à la rencontre des propriétaires... On s'est dit qu'on allait réutiliser la trame viaire existante et construire autour afin de garder au cœur un poumon vert. On aura un îlot de collectifs, des maisons individuelles, des espaces communs, une serre commune... ça fait 15 ans qu'on y travaille : 40 maisons de Gironde Habitat en construction bois sont sorties et un projet de 130 logements de Crédit agricole immobilier est en travaux. On respecte le vivant et l'histoire, mais la démarche est plus longue pour explorer les différentes pistes. Ce qui est insupportable sur des projets aussi denses que les bassins à flot et Ginko, c'est la fulgurance. Et on a l'impression d'être au même endroit, tout se ressemble. Il faut éviter la standardisation.
Propos recueillis par Marine Coelho, journaliste de Cadre de Ville, le 22 décembre 2020.
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