L’achat public a été et est toujours considéré comme un monde à part, tant au sein des collectivités publiques que du point de vue des opérateurs économiques. Cette impression d’hermétisme ne favorise pas le dialogue entre tous les acteurs concernés, dialogue pourtant indispensable au bon déroulement de toutes les étapes des procédures d’achat.
Sur ce point, les choses sont en train de changer, preuve d’une maturité des acheteurs et des opérateurs sous la houlette d’une réglementation qui cherche justement à fluidifier leurs relations.
Dans le même temps, la professionnalisation des acheteurs publics se traduit aussi par des contraintes accrues qui pèsent sur eux, contraintes qui justifient d’autant plus le développement des échanges avec les opérateurs.
Au travers notamment de la clause de réexamen, le code de la commande publique a donné le ton sur le renouvellement des modalités de dialogue entre les co-contractants d’un contrat de la commande publique, marché public ou concession.
Les nouveaux CCAG applicables depuis le 1er avril dernier ont enfoncé le clou, en multipliant les possibilités de rencontres entre les parties.
On y trouve pêle-mêle la procédure contradictoire instaurée avant l’application des pénalités prévues par le marché, l’incitation au rapprochement en cas de prime pour performance financière, les clauses de réexamen en cas de circonstances imprévisibles- soit du fait d’une suspension momentanée du marché, soit en cas de modifications importantes de ses conditions d’exploitation… de telles clauses de rencontre pouvant d’ailleurs concerner bien d’autres domaines, comme celui de la mise en œuvre des dispositions relatives à la protection de l’environnement ou à l’insertion, où un point régulier entre les parties apparait indispensable.
Il y aussi des clauses spécifiques au sein de chacun des 6 CCAG, comme celui relatif à la maitrise d’œuvre qui incite, dans son article 15-3-5, à une rencontre entre maitre d’ouvrage et maitre d’œuvre en cas de prolongation de la durée du chantier ayant entrainé une augmentation de plus 10% du montant du marché afin d’en étudier les conséquences, notamment financières, sur la mission-même du maitre d’œuvre.
Si on ajoute à cela toutes les dispositions relatives au règlement amiable des différends- règlement qui peut d’ailleurs être fort utile en cas d’échec des clauses de réexamen et de rencontre sus évoquées-, on se trouve en présence de modèles de cahiers de charges particulièrement incitatifs en termes de dialogue entre co-contractants, ainsi que de rééquilibrage des relations contractuelles.
Les acheteurs et les opérateurs doivent ainsi apprendre à se parler et, notamment, à évoquer ensemble des solutions face à des évènements susceptibles de rejaillir sur la bonne exécution des marchés. La problématique récente, mais qui peut être récurrente, posée par la forte augmentation du prix de certaines matières premières est révélatrice de cet impératif d’échanges si possible constructifs dans le but de sauvegarder les contrats en cause et, dans la droite ligne des CCAG, de trouver des réponses équilibrées et équitables entre les parties.
L’achat public étant instrumentalisé au service des politiques publiques, les acheteurs se voient imposer des obligations de plus en plus lourdes tant en termes de rédaction de règlements de consultation et cahiers des charges que de suivi d’exécution des marchés.
Le domaine de cela protection de l’environnement, pour ne citer que lui, est parfaitement révélateur du phénomène.
Transition vers l’économie circulaire, gestion des déchets de chantier, énergie positive, haute performance environnementale, règlementation thermique, véhicules propres, matériaux recyclés…ces dernières années ont vu une succession de textes cherchant à répondre à de tels objectifs et à utiliser le levier commande publique à cet effet.
La loi climat et résilience du 22 aout 2021 est un aboutissement de cette évolution normative. Les objectifs de développement durable sont ainsi imposés à toutes les phases du marché. Notamment, et ce dans tous les marchés publics, un critère ainsi qu’une condition d’exécution relatifs à la protection de l’environnement vont s’imposer aux acheteurs- en fait à leurs prestataires- dans les 5 ans à venir. Il en sera de même s’agissant des critères sociaux, même si les contraintes ne s’imposeront qu’au-delà des seuils européens et pour les marchés d’une certaine durée.
Si, dans certains domaines comme les marchés de travaux et de fournitures, de tels critères et conditions d’exécution ne surprendront pas, dès lors qu’ils sont déjà régulièrement utilisés, il n’en sera sans doute pas de même dans d’autres, s’agissant notamment des marchés de prestations intellectuelles. Un accompagnement sera donc nécessaire afin que puisse être intégré au mieux ce qui sera nécessairement vécu comme un profond changement culturel. D’ores et déjà, les acheteurs et opérateurs peuvent se retourner vers les services déconcentrés de l’Etat- direcctes, préfectures…-, l’Ademe, les CCI… qui proposent d’ores et déjà des outils et autres formations à destination des acteurs concernés. Il y a aussi des réseaux d’acheteurs qui se développent ici et là, comme celui des acheteurs publics responsables dans certaines régions qui travaille entre autres sur des exemples de clauses adéquates à faire figurer dans les cahiers des charges des contrats.
Il reste que bon nombre d’acheteurs ont des réactions plutôt mesurées au regard de cette évolution, qui, sous couvert d’objectifs plus louables les uns que les autres, leur impose des taches et exigences toujours plus importantes. Sur cette question environnementale et sociale, cela nécessitera mécaniquement plus de temps de travail dans le cadre de la préparation de la procédure et de la rédaction du cahier des charges. Mais c’est surtout dans le cadre de l’exécution du marché qu’une organisation adéquate de l’acheteur public sera indispensable, afin de bien gérer cette phase de contract management, et donc de suivi du respect par le titulaire des conditions d’exécution sur lesquelles il s’est engagé.
Du coup, l’impératif du dialogue avec les opérateurs économiques s’en trouve décuplé. En amont, le sourcing ne pourra que permettre à ces derniers de participer, sous une forme ou une autre, à la rédaction des cahiers des charges des marchés, s’agissant plus spécifiquement des clauses - contenu, modalités de contrôle et de sanction…- environnementales et sociales. L’Apasp a ainsi récemment publié une nouvelle version de trois modèles de cahiers des charges de fournitures- denrées alimentaires, bâtiments et infrastructures publics, pièces détachées de véhicules- élaborés en partenariat avec la Confédération du Commerce de Gros et International-CGI- et destinés aux acheteurs publics souhaitant s’en inspirer pour la rédaction de leurs documents particuliers.
Pendant la passation, le recours aux possibilités de négociés ou de dialogue compétitif- si tant est que, au-delà des seuils des procédures formalisées, les critères le permettant soient remplis- permettra lui de discuter et peut être adapter de telles clauses. Et pendant l’exécution, la mise en œuvre de clauses de rencontre permettra aux parties de faire le point sur l’application de ces clauses et, si besoin est, les possibilités de les faire évoluer.
Toutes les phases-on pourrait dire toute la vie, de la conception à la disparition- du marché sont donc concernées par cet impératif de dialogue, qui ne se limite bien évidemment pas au volet environnemental et social. Puissent les acheteurs- mais aussi les opérateurs, en tant que candidats puis co-contractants- avoir conscience d’un tel impératif et, malgré les taches de plus en plus prégnantes qui pèsent sur eux et pourraient avoir un effet paralysant, le traduisent dans le cadre de leurs documents et procédures.
Jean Marc PEYRICAL
Avocat Associé
Président de l’APASP, Association Pour l’Achat dans les Services Publics
2024 - L’ACHAT PUBLIC ENTRE AVERTISSEMENTS, PROMESSES ET DEFIS
L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
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Ce fut la bonne nouvelle du printemps : le marché global de performance, jusque-là bridé par le sacro-saint principe d’interdiction de paiement différé, a enfin vu son régime assoupli sur ce point par la loi 2023-222 du 30 mars dernier. Certes limité aux travaux de rénovation énergétique - un domaine où les besoins sont évidemment immenses -, et pour une période expérimentale de 5 ans, cette possibilité tant attendue par les acteurs tant publics que privés de la construction de pouvoir étaler les paiements des investissements a été perçue comme une véritable bouffée d’air. Pourtant, du fait d’amendements déposés pendant l’étude du texte, la montagne risque d’accoucher d’une souris. C’est bien dommage : le secteur de la construction et de l’aménagement aurait bien mérité de bénéficier d’un outil simple et efficace à une époque où l’environnement tant national qu’international ne lui apporte pas que de bonnes nouvelles.
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