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Le 12/12/2022 à 18h

Le burn-out de l’achat public

Un récent colloque de l’Apasp qui s’est tenu aux Echos a surpris plus d’un participant avec ce titre provocateur « vers le burn-out de l’achat public ». Les acheteurs publics seraient ils en plein syndrome d’épuisement professionnel, « généré par des sentiments d’impuissance et de désespoir » selon la définition du dictionnaire Larousse ?

Le burn-out de l’achat public

Même si, comme dans d’autres domaines et d’autres fonctions, c’est sans doute le cas ici et là, il ne faut bien évidemment pas généraliser et tirer trop vite un hypothétique sonnette d’alarme ; ce d’autant que les situations d’achat public sont très diverses en fonction de la taille et de la configuration des structures publiques et para publiques, et que le métier d’acheteur public est lui-même multiforme, empêchant toute conclusion hâtive et trop généralisée.

Il y a pourtant de réels éléments d’inquiétude qui peuvent, sans aller nécessairement jusqu’au burn-out, créer de vraies difficultés dans un domaine où il y a pourtant un besoin exponentiel de compétences.

Vous avez dit instrumentalisation ?

Le phénomène n’est pas nouveau - mais, en toute logique, comment l’éviter ? - la commande publique pesant 10% de notre PIB annuel, ce qui n’est pas tant que ça au regard d’autres pays, elle est plus que jamais le premier instrument d’intervention publique dans l’économie et donc de soutien des entreprises et avant tout des PME.

Il est donc tout à fait normal qu’elle soit utilisée et instrumentalisée, quelquefois à d’autres fins que l’achat public proprement dit, fins et objectifs dont la légitimité est évidemment incontestable et donc exempte de critiques.

Participer au développement durable et à l’économie sociale et solidaire, en renforçant progressivement le poids des critères de choix en la matière mais aussi les conditions d’exécution des marchés publics et concessions; acheter des produits recyclés - tout en vérifiant leur origine dans le cas où ils sont importés -, des denrées alimentaires bio, des véhicules propres ; favoriser dans la mesure du possible les opérateurs locaux - mais comment blâmer des élus souhaitant privilégier les entreprises implantées sur leur territoire ? -, vérifier que les titulaires des contrats en lien avec du public respectent les principes fondamentaux de la République, gérer les problématiques de plus en plus aiguës de cyber sécurité… le tout en mettant en place des stratégies d’achat dans le but de se rapprocher le plus possible des objectifs d’efficacité et de bonne gestion de l’argent public.

Rançon du succès : l’achat public devenant une fonction en pointe, de nombreux postes sont à pourvoir un peu partout - collectivités locales, Universités, Hôpitaux, entreprises publiques locales, établissements publics divers et variés, etc… - et ont d’ailleurs du mal à être pourvus, malgré l’accroissement des possibilités de formation tant initiales que continues notamment au sein des Universités.

Problème d’attractivité, renforcé par la complexité d’un métier qui, comme indiqué ci-dessus, est loin d’être uniquement dédié à des actes d’achat ? Peur des prises de risques et plus particulièrement d’un délit de favoritisme qui, bien que le nombre de condamnations soit très faible chaque année au regard de celui des procédures, remplit plus que jamais son rôle d’épée de Damoclès au-dessus de la tête des acheteurs ? Liens difficiles avec les opérateurs économiques en cette période de succession de crises économiques, sanitaires et autres énergétiques qui rejaillissent fatalement sur les contrats en cours et provoquent de multiples demandes d’indemnisation… sans doute un peu de tout cela, les ingrédients de possibles burn-out étant finalement à peu près réunis.

Le choc de la nouvelle responsabilité des ordonnateurs

L’ordonnance 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics vient en quelque sorte ajouter une cerise sur un gâteau déjà bien riche.

Ce texte renverse en effet la répartition des responsabilités entre ordonnateurs et comptables, pour lesquels le principe de séparation n’est toutefois pas remis en cause : la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables disparaît, tandis que les ordonnateurs se retrouvent sanctionnables devant la Cour des Comptes tant en première instance qu’en appel, une nouvelle cour d’appel financière étant créée à cet effet.

Applicable dès le premier janvier prochain, cette réforme concerne avant tout les fonctionnaires et contractuels des collectivités publiques, les élus étant toujours protégés, sauf cas spécifiques comme la gestion de fait ou la réquisition du comptable, de cette responsabilisation. Elle touche aussi, c’est important de le rappeler, les responsables des entreprises publiques locales et autres satures privées dépendantes des collectivités publiques, s’agissant par exemple des DGS de Sociétés Publiques Locales (CDBF, 5 juillet 2022, SPL de Mayotte, n°259-816).

Bien sûr, les infractions aux règles d’exécution des recettes et des dépenses et à la gestion des deniers publics susceptibles d’être sanctionnées sont les plus graves et doivent avoir causé un préjudice financier significatif. Ce qui donnera sans doute lieu à de multiples interprétations et analyses circonstanciées, sachant que les autorités pouvant signaler - et donc dénoncer - des faits délictueux sont de plus en plus nombreuses, et comptent parmi elles les Préfets ou encore les directeurs régionaux et départementaux des finances publiques.

Au vu de son poids financier, la commande publique est la première concernée par ce nouveau régime de responsabilité. Pourront par exemple être particulièrement regardées les sommes octroyées aux entreprises dans le cadre d’avenants circonstances imprévues ou d’indemnités d’imprévision, le contenu des accords transactionnels qui se multiplient avec l’essor de la médiation dans les conflits, ou encore - ce qui était le cas dans l’affaire de la SPL de Mayotte - la correspondance entre le paiement de prestations et la réalité de ces dernières.

Les structures publiques et para publiques devront donc redoubler de vigilance s’agissant de l’organisation et de la gouvernance de leur commande publique. Répartition des rôles et responsabilité notamment via des délégations de pouvoir et de signature revisitées et actualisées, traçabilité de toutes les étapes des actes d’achat y compris le suivi de l’exécution des contrats, mise en place si ce n’est déjà fait de directions et/ou services dédiés à la commande publique, ce qui repose la problématique des compétences évoquée plus haut. Sans compter le volet devenu incontournable de la compliance et des règles déontologiques qui sont un volet intrinsèque du métier d’acheteur.

Toute nouvelle contrainte à son aspect positif. En l’espèce, la réforme de mars 2022 ne pourra que pousser les acteurs concernés à encore davantage s’organiser et se professionnaliser, si tant est qu’ils puissent s’en donner les moyens et qu’une vraie volonté politique les soutienne et les accompagne à cet effet.

Ce sont en tout cas d’importants défis à relever et ce n’est qu’à ce titre que pourra être évitée une situation non plus provocatrice mais réelle de burn-out de l’achat public.

Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé, Cabinet Peyrical & Sabattier
Président de l’APASP, Association Pour l’Achat dans les Services Publics

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