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Le 17/10/2023 à 15h

Marché public global de performance à paiement différé : une fausse joie ?

Ce fut la bonne nouvelle du printemps : le marché global de performance, jusque-là bridé par le sacro-saint principe d’interdiction de paiement différé, a enfin vu son régime assoupli sur ce point par la loi 2023-222 du 30 mars dernier.

Certes limité aux travaux de rénovation énergétique - un domaine où les besoins sont évidemment immenses -, et pour une période expérimentale de 5 ans, cette possibilité tant attendue par les acteurs tant publics que privés de la construction de pouvoir étaler les paiements des investissements a été perçue comme une véritable bouffée d’air.

Pourtant, du fait d’amendements déposés pendant l’étude du texte, la montagne risque d’accoucher d’une souris.

C’est bien dommage : le secteur de la construction et de l’aménagement aurait bien mérité de bénéficier d’un outil simple et efficace à une époque où l’environnement tant national qu’international ne lui apporte pas que de bonnes nouvelles.

Marché public global de performance à paiement différé : une fausse joie ?

Un contrat muselé

Ouvrir dans le cadre des MPGP le tiers financement à l’Etat, ses établissements publics et aux collectivités territoriales pour favoriser les travaux de rénovation énergétique permet d’offrir un nouvel outil dans la panoplie des montages contractuels qui s’offre à eux.

Mais le gouvernement a souhaité soumettre ce MPGP à des critères similaires à ceux des marchés de partenariat. Il en a fait ainsi un contrat dérogatoire aux marchés « classiques », ce qui traduit une certaine méfiance - ou une méfiance certaine - vis à vis de ses futurs utilisateurs, les collectivités locales en premier lieu.

Le MPGP à paiement différé doit ainsi être précédé d’une étude préalable devant le justifier. Le décret 2023-913 du 3 octobre 2023 est venu préciser le contenu de cette étude. Comme pour un marché de partenariat, elle doit établir un comparateur avec d’autres contrats afin de démontrer qu’il est le plus intéressant par exemple en termes « d’objectifs de performance retenus par l’acheteur notamment en termes de consommation énergétique d’émissions de gaz à effet de serre, de délais fixés pour les atteindre ainsi que des mécanismes souhaités d’incitations, de garanties et de sanctions ». En y ajoutant les risques attachés au projet et leur répartition entre les co-contractants ou encore, sans être exhaustif, la structure de financement et son incidence sur le cout du projet, le travail de comparaison notamment avec des contrats sans paiement différé s’annonce tout de même assez complexe.

Mais c’est surtout l’étude de soutenabilité budgétaire qui doit aussi être réalisée qui risque de faire grincer des dents. Non pas, à nouveau comme dans le cadre d’un marché de partenariat, qu’il ne soit pas louable de s’assurer que le cout de l’opération envisagée peut raisonnablement être supporté par le budget et les finances de la collectivité. Mais les élus locaux vont de nouveau brandir le spectre du retour de la tutelle de l’Etat dès lors que cette étude est soumise à l’avis motivé du ministre du budget. Certes, il ne s’agit que d’une appréciation et non d’une décision en tant que telle ; mais il est des avis, notamment négatifs, qu’il est délicat d’outrepasser malgré leur absence de force juridique.

On peut même se demander si, à critères quasiment similaires - voire davantage alambiqués pour le MPGP au vu des éléments relatifs aux performances énergétiques - il ne sera pas préférable de souscrire un marché de partenariat, qui offre tout de même d’autres avantages comme celui de pouvoir mettre en place des recettes annexes et donc un modèle économique abouti au contraire du MPGP. A noter sur ce point une évolution notoire, la loi du 30 mars - pas reprise par le décret du 3 octobre qui reste muet sur ce point - évoquant, enfin pourrait-on dire, la possibilité de prendre en compte « les revenus issus de l’exercice d’activités annexes ou de la valorisation du domaine ».

Ce nouveau MGP, qui devrait reposer sur une structure de financement malgré tout distincte de celle du marché de partenariat, a cependant une place à part dans le paysage des contrats publics et il serait dommage qu’il ne puisse pas l’occuper pleinement.

Le syndrome du METP

C’est peut-être la crainte de voir ressurgir le feu marché d’entreprise de travaux public - METP/appellation particulière il faut dire - qui a motivé la mise en œuvre d’un tel corset.

L’histoire de ce contrat maudit aurait pourtant pu être belle. S’appuyant sur des jurisprudences du Conseil d’Etat, la Région Ile de France - suivie par d’autres collectivités - l’a utilisé, on s’en souvient, pour étaler le paiement de la rénovation et de la construction de dizaines de lycées dans les années 1990. Mais ce mécanisme miracle, au-delà des dérives pénales dont il a fait l’objet - v. les arrêts de la Cour d’appel du 27 février 2007 et de la Cour de Cassation du 20 février 2008 -, a été remis en cause par le Conseil d’Etat pour non-respect de l’interdiction du paiement différé - CE, Commune de la Ciotat, 8 février 1999, n°150931 - ; ce qui a entrainé l’obligation retranscrite dans le code de l’époque de séparer le paiement de l’investissement de celui de la maintenance dans les marchés englobant les deux prestations.

Finalement, le MPGP tiers financement est assez proche de l’architecture du METP. Il englobe des prestations similaires - conception réalisation maintenance- et permet un étalement du paiement du titulaire du contrat tout au long de son exécution. Et contrairement au marché de partenariat, la maitrise d’ouvrage reste assurée par la collectivité publique.

Aurait-on créé une sorte d’hybride entre le marché de partenariat s’agissant des critères de recours et le METP pour ce qui est de son contenu et de son périmètre ? Ne trouve-t-on pas ici justement les raisons non pas de son échec programmé - restons tout de même positif - mais des réserves dont il fait d’ores et déjà l’objet ?

Et maintenant ?

Au lieu de représenter un nouvel outil dynamique au service des collectivités, notamment locales, le MPGP tiers financement semble marquer une nouvelle défiance à leur encontre.

Ainsi qu’elles l’ont montré avec les contrats devenus marchés de partenariat, elles ne seraient donc pas capables d’utiliser avec raison et efficience un tel outil, et grèveraient leurs finances vis- à vis de leurs successeurs et donc des générations futures – v. différents rapports de la Cour des Comptes à ce sujet et notamment celui de juillet 2014 « Les contrats de partenariat : des bombes à retardement ? »

Pourtant, sur les quels centaines de contrats de partenariats et assimilés (BEA et BEH à l’époque), tout n’ a pas été négatif loin de là, et de nombreuses opérations (siège du ministère de la Défense et Cité Judiciaire de Paris pour ne citer que les plus emblématiques, sachant qu’on aurait aussi pu évoquer des projets moins connus de maisons de retraite, de gendarmeries, de centres sportifs, d’équipements de traitement de déchets ou d’éclairage public, et bien d’autres encore) ont été plutôt bien menées et continuent à l’être dans le cadre de leur phase maintenance-exploitation.

Le problème est qu’en serrant la vis à ce point, on risque d’arriver à des situations à rebours du but recherché. Les acteurs publics sont par exemple de plus en plus tentés de passer par des voies plus ou moins tortueuses pour arriver à leurs fins patrimoniales. Ventes en l’état de futur achèvement, cessions avec charges, baux emphytéotiques ou à construction etc…, ces outils habituellement utilisés dans le cadre d’opérations de promotion immobilière privées le sont de plus en plus par les collectivités publiques, quelquefois à la lisière de règles de la commande publique qui ne paraissent pas toujours adaptées aux objectifs d’efficacité et de rapidité recherchés.

Du coup, ne serait-ce pas le moment d’assouplir encore, dans le respect du droit européen bien sûr, le corset qui semble encore trop enserrer les collectivités ? Supprimer par exemple cet adoubement de Bercy sur les études de soutenabilité budgétaires, sans remettre en cause l’utilité de ces dernières ? Permettre de nouveau de recourir aux baux emphytéotiques administratifs, ou équivalents, pour des projets d’équipements publics d’envergure moyenne -mais si essentiels pour bon nombre de communes et intercommunalités - du type groupes scolaires sachant que le seuil de 10 millions d’euros - sauf exceptions, qui sont elles même très encadrées - des marchés de partenariat les empêche d’accéder à des mécanismes de paiement différé et donc de pré financement privé ?

Pourquoi ne pas réfléchir à un nouveau type de partenariat public-privé, un contrat qui reposerait sur des critères d’accès assouplis mais serait régulièrement évalué par un organisme neutre et extérieur afin d’éviter tout débordement…on retrouve ici l’impératif du « contract management », la désignation externalisée ou même au sein d’une collectivité donnée d’un contract manager ou d’une équipe dédiée à cet effet étant sans nul doute une des clés permettant de trouver ou retrouver la vertu contractuelle.

Bien d’autres pistes mériteraient d’être creusées mais entre la crise de l’immobilier, les limites des budgets publics, les pénuries de foncier et l’urgence climatique, il est plus que temps d’avancer sur ces problématiques juridico-financières et de donner un nouvel élan aux outils contractuels au service des projets de territoires, qu’il s’agisse de bâtiments ou même d’infrastructures, souvent occultées mais tout aussi indispensables.

Jean-Marc Peyrical

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