Une telle question peut paraitre iconoclaste, les contrats de la commande publique étant en grande majorité (pas tous, certains marchés publics, par exemple ceux passés par les entreprises publiques locales, pouvant être des contrats de droit privé) des contrats administratifs. Et il a toujours été enseigné dans les facultés de droit que seule l’administration disposait au sein de ces contrats de la prérogative d’y mettre fin de manière anticipée, et ce même sans faute de son cocontractant. Un arrêt du Conseil d’Etat de 2014 a cependant reconnu pour la première fois la possibilité pour ce dernier de disposer d’un tel droit, ce qui traduit une petite révolution dans un domaine plutôt réputé pour sa relative inégalité au profit des personnes publiques.
Jusqu’en 2014, le titulaire d’un contrat administratif pouvait, s’il souhaitait ne plus exécuter ses obligations du fait du comportement ou des défaillances de l’administration, solliciter le juge compétent pour lui demander d’y mettre fin de manière anticipée. Le principe était donc clair et constamment réaffirmé par le Conseil d’Etat : le titulaire d’un tel contrat est tenu d’en assurer l’exécution et ne peut prendre l’initiative de le résilier unilatéralement. C’est pour cette raison que les clauses qui, dans certains contrats, octroyaient un tel pouvoir à leur titulaire étaient soit déclarées inapplicables, soit, en cas de négociation entre les parties, écartées par les personnes publiques.
Dans sa décision du 8 octobre 2014, société Grenke Location (société qui a depuis provoqué de nombreux autres contentieux du même type et qui est à l’origine de plusieurs décisions de tribunaux administratifs et de Cours Administratives d’Appel), le Conseil d’Etat est revenu sur cette jurisprudence séculaire et a admis la possibilité pour les titulaires des contrats de les résilier en cas de méconnaissance par l’administration de ses obligations contractuelles.
Ainsi, si par exemple l’administration ne lui verse plus de rémunération, son cocontractant peut désormais, de lui-même et sans avoir à solliciter le juge, mettre fin au contrat qui les lie.
Si l’évolution est de taille, sa mise en œuvre repose sur des conditions tellement strictes qu’elle devrait rester exceptionnelle.
L’exercice d’un tel droit est tout d’abord conditionné par l’existence d’une clause expresse précise au sein du contrat. C’est une différence notable avec le pouvoir de résiliation unilatérale de l’administration, qui lui s’exerce sans nécessairement être prévu. Et une telle clause est d’autant plus importante que c’est elle qui fixe les causes et conditions de la résiliation prononcé par le titulaire du contrat. S’agissant par exemple des retards ou défauts partiels ou totales de paiement par l’administration, les dispositions contractuelles devront prévoir précisément à partir de combien de retard ou de non-paiement la résiliation pourra être prononcée.
Par ailleurs, une telle résiliation unilatérale doit être précédée d’une information adressée à l’administration. Et ainsi que cela résulte de l’arrêt précité du 8 octobre 2014, celle-ci dispose dans ce cas de la possibilité de s’opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d’intérêt général tiré notamment des exigences du service public. Ces exigences font évidemment appel à une appréciation au cas par cas. A titre d’illustration, peuvent sans doute être qualifiées comme telles des décisions faisant peser un risque de rupture dans la continuité d’un service donné et d’une atteinte grave à la situation des usagers concernés. Tel est le cas par exemple de la résiliation d’un contrat souscrit par un centre hospitalier pour la maintenance préventive et curative d’équipements de stérilisation, résiliation qui « prive l’établissement hospitalier de moyens indispensables à l’exercice de sa mission de service public et expose les usagers du service à un risque immédiat » (Conseil d’Etat, 19 juillet 2016 société Schaerer Mayfield France). En présence de ces motifs, le co-contractant doit poursuivre l’exécution du contrat sous peine de se voir appliquer une décision de résiliation unilatérale, cette fois à l’initiative de l’administration.
En fait, de telles situations ne devraient pas souvent se rencontrer dès lors que, paradoxalement avec ce qui vient d’être indiqué, le droit ainsi reconnu aux cocontractants de l’administration de résilier un contrat administratif ne concerne pas les contrats qui ont pour objet l’exécution même du service public. Devraient donc être essentiellement concernés les marchés publics de travaux, fournitures et services (sachant que, pour ces derniers, la frontière avec la gestion d’un service public peut être plutôt fine, s’agissant par exemple des déchets ménagers) ainsi que les concessions de service hors délégation de service public. Maintenant, dans une approche extensive, il peut aussi être avancé que la grande majorité des contrats en cause, s’agissant même des marchés de fournitures, sont indispensables au fonctionnement du service public. En effet, la vocation essentielle des achats publics est bien d’alimenter les services publics et leur permettre de fonctionner…
A nouveau, tout sera affaire d’analyse au cas par cas ainsi qu’a pu le montrer la jurisprudence postérieure à cet arrêt Grenke Location (voir ci-dessous extrait d’un arrêt de la CAA de Nancy portant à nouveau sur un contrat souscrit avec la même société Grenke Location). Mais, au vu de ce cadre juridique strict, on peut rester réservé quant à la portée réelle de ce droit de résiliation unilatérale, qui n’est finalement pas si révolutionnaire qu’il pourrait apparaître de prime abord.
Achat et commande publics : on continue de vivre une époque formidable
Les années passent et se ressemblent… cette nouvelle année qui s’ouvre pour la commande publique s’accompagne, comme toujours, d’interrogations sur ce qui attend les acheteurs et la sauce à laquelle ils vont pouvoir être mangés. Les deux décrets 2024-1217 et 2024- 1251 publiés les 28 et 30 décembre derniers ont à la fois clôturé l’année passée et donné le la pour celle à venir : l’évolution des textes est et va rester constante, un peu comme un pendule de Foucault et son éternel mouvement. Bien sûr, dès lors que ces évolutions sont motivées par des intentions louables, comme celle de la simplification des règles, elles ne sont pas contestables en soi ; même si on a ici et là la désagréable impression qu’on a de plus en plus tendance à s’éloigner de l’acte d’achat proprement dit, avec ses objectifs d’efficacité et de bonne gestion de l’argent public, au bénéfice d’autres objectifs dont celui de la protection de l’environnement et du développement durable.
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L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
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La commande publique, qu’elle émane des services de l’Etat ou des collectivités, représente des enjeux économiques considérables et ne peut subir aucune inégalité de traitement.
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