Nombre d'acheteurs publics s'interrogent sur le contenu et la portée des nouvelles dispositions relatives aux modifications des marchés publics et des contrats de concession.
Si elles ouvrent de nouvelles perspectives, s'agissant notamment de la fameuse clause de réexamen, ces dispositions marquent davantage une continuité qu'une rupture avec les règles existantes essentiellement issues de la jurisprudence, en tout cas pour ce qui est des contrats de concession; le cas des modifications dites substantielles étant révélateur de ce phénomène.
Jusqu'aux textes de 2016, la modification des conventions de délégation de service public, qui sont aujourd'hui hui une variété de concession, était peu règlementée, à l'exception de certains points comme la prolongation de leur durée. C'est donc la jurisprudence qui a pris le relais des règles écrites, faisant preuve d'une certaine constance s'agissant des limites posées à ces modifications. Ainsi, selon le Conseil d'Etat, un avenant ne saurait modifier substantiellement les éléments essentiels d'une convention de délégation de service public, tels que sa durée, son périmètre ou le volume des investissements mis à la charge de son titulaire- avis du 19 avril 2005, n°371-234-.
Un arrêt récent du 9 mars 2018, toujours du Conseil d'Etat- Compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel, n°409972-est venu confirmer cette jurisprudence et donc cette constance. Était en cause dans cette affaire un avenant à une convention de délégation de service public relative à la construction et l'exploitation des ouvrages et services d'accueil du Mont-Saint-Michel. Il portait sur la modification du point d'embarquement des voyageurs désirant emprunter les navettes, la révision de la grille tarifaire et la modification du service des navettes dites hippomobiles. Pour le juge, les modifications tarifaires induites par de telles évolutions- hausses de tarifs comprises entre 31 et 48% se traduisant par une augmentation de plus d'un tiers des recettes, ce qui allait bien au-delà de la compensation des charges liées aux modifications des obligations de service public imposées au délégataire - ont substantiellement modifié le contrat en cause, confirmant ainsi les annulations prononcées par les juridictions de première instance et d'appel.
Le problème évidemment est que cet adverbe " substantiel" est en soi indéfinissable- l'approche par ses synonymes comme riche, essentiel ou important n'étant pas d'un grand secours- et appelle une interprétation au cas par cas, ce qui n'est pas très sécurisant pour les acteurs des contrats concernés.
Pourtant, quelques dispositions de cet arrêt du Conseil d’Etat, qui rejoignent celles de l'article 36 du décret 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, leur donnent quelques pistes de décryptage.
Après avoir rappelé que " les délégations de service public sont soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique", le Conseil d'Etat précise que, pour assurer le respect de ces principes, les parties à un tel contrat ne peuvent, par simple avenant, y apporter des modifications substantielles. Et tel est le cas si sont introduites dans le contrat des conditions qui, " si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient pu conduire à admettre un autre candidat ou à retenir une autre offre que celle de l'attributaire"; de telles conditions étant notamment relatives à la modification de l'objet de la concession ou à l'évolution substantielle des éléments essentiels constituant son équilibre comme la durée, le volume des investissements ou les tarifs.
Par comparaison, l'article 36-5 du décret précité du 1er février est rédigé de façon similaire, cet article étant justement relatif aux modifications substantielles des contrats de concession dont le paragraphe a) indique que cela est le cas si la modification" introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage de participants ou permis l'admission de candidats ou soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou le choix d'une offre autre que celle initialement retenue". On retrouve donc cette idée de remise en cause de la concurrence initiale, qui aurait pu être différente- et notamment plus ouverte- si la modification opérée en cours d'exécution avait figure dans le dossier initial de consultation des entreprises. Si cette remise en cause n'est pas forcément évidente à démonter, elle doit être éclairée par la grille de lecture tant proposée par le Conseil d'Etat- les éléments relatifs à l'équilibre économique du contrat - que par l'article 36-5 du décret lui même, qui traite lui aussi de la modification de l'équilibre économique de la concession " en faveur du concessionnaire d'une manière qui n'était pas prévue dans le contrat de concession initial" et fait également état de l'extension considérable du champ d'application du contrat de concession.
Sans être novatrice- considérable n'est par exemple pas très éloigné de substantiel...-, une telle évolution de terminologie semble cependant donner davantage de clés d'explications aux acheteurs publics et à leurs prestataires. Puisse la jurisprudence continuer sur cette voie et accroître ainsi la sécurité et la sérénité de ces derniers dans l'évolution de leurs rapports contractuels, gage de leur efficience qui reste plus que jamais un des objectifs majeurs des contrats de la commande publique.
L'analyse de notre expert, Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Président de l’APASP
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