Le sort des biens, essentiellement immobiliers, à l’issue des conventions de délégation de service public – et donc des concessions depuis 2015 - a longtemps été sujet à questionnement, jusqu’à ce qu’un arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat vienne clarifier la situation (commune de Douai, 21 décembre 2012).
Des jurisprudences plus récentes sont venues compléter les principes ainsi institués par la haute juridiction, principes qui ne sont pas sans incidence sur les modèles économiques élaborés et mis en œuvre dans le cadre de ces contrats.
La question du devenir des équipements réalisés dans le cadre des concessions est toujours aussi actuelle et concerne des équipements aussi divers que les casinos, les restaurants scolaires, les remontées mécaniques ou encore, sans bien évidemment être exhaustif, les équipements de santé.
La question est d’autant plus importante que les concessions ont aujourd’hui tendance à avoir un périmètre de plus en plus large, ne serait-ce que dans un souci de rentabilité économique.
Il n’est ainsi pas rare-dans le cadre par exemple d’un centre aquatique, d’un stade de football, d’un équipement multimodal que le concessionnaire se voit imposer non seulement de réaliser et exploiter des bâtiments directement affectés à une activité de service public mais aussi, à côté de cela, des bâtiments du type hôtel, restaurant, ou bureaux dont le lien avec ladite activité est plus ou moins distant. Et dans de tels cas, il n’est pas toujours facile de bien identifier la nature des biens en cause et notamment les biens de retour, qui reviennent gratuitement à la collectivité en fin de contrat, et les biens de reprise susceptibles eux d’être rachetés par le titulaire. Le contexte est encore complexifié depuis que les concessions ne portent plus nécessairement et uniquement sur des activités de service public.
L’enjeu est souvent de taille, non seulement en termes financiers mais aussi de patrimoine détenu par les collectivités concernées. Le principe posé par l’arrêt de Douai et régulièrement rappelé par la jurisprudence postérieure est pourtant clair : l’ensemble des biens meubles ou immeubles réalisés par le titulaire de concessions de service public et nécessaires au fonctionnement dudit service public appartient dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique.
Leur retour est gratuit à l’expiration de la convention, sauf clause contraire, dès lors qu’ils sont considérés comme amortis au cours de l’exécution du contrat. Et le Conseil d’Etat a récemment élargi la portée d’un tel principe, qui trouve également à s’appliquer lorsque le titulaire du contrat était antérieurement à celui-ci propriétaire de biens qu’il a décidé d’affecter au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci. Une telle mise à disposition emporte ainsi le transfert des biens en cause dans le patrimoine de la personne publique et en retire par conséquent la propriété au cocontractant de cette dernière (CE, 29 juin 2018, communauté de commune de la Vallée de L’UBAYE ; CAA de BORDEAUX, 12 décembre 2018, communauté d’agglomération SUD MARTINIQUE c/ société DATEX Martinique).
Il appartient donc aux parties au contrat de prendre en compte un tel apport de patrimoine dans la définition de son équilibre économique, le concessionnaire devant avoir conscience qu’il n’a aucun droit au rachat des biens concernés en fin de concession et que, le principe étant celui d’un retour à titre gratuit au bénéfice de la collectivité, il ne peut non plus prétendre à être indemnisé sauf si les biens en question n’ont pas été totalement amortis pendant l’exécution du contrat.
Il y a donc une fenêtre de tir, limitée, qui permet au titulaire du contrat d’espérer obtenir une indemnisation en cas de non-amortissement total des biens, sachant que la jurisprudence précise qu’elle ne doit pas traduire une libéralité de la part de la personne publique. Mais qu’en est-il des biens dont la réalisation étaient prévus par le contrat mais n’ont finalement pas été construit ?
La question s‘est récemment posée dans le cadre d’une convention de délégation de service public, CAA NANTES 19 octobre 2018, commune de la Trinité-sur-Mer) relative à l’exploitation d’un casino, convention qui prévoyait que le délégataire prendrait à sa charge la construction d’un hôtel restaurant et de locaux associés tels qu’une salle de congrès et de séminaire et un centre de remise en forme.
Du fait notamment de difficultés financières, le titulaire du contrat n’a pu réaliser de tels investissements et a donc manqué à ses obligations contractuelles, ce qui a entraîné la résiliation anticipée de la convention de délégation. En application de la jurisprudence précitée relative au devenir des biens d’une concession de service public, la première question posée était de savoir si de tels équipements pouvaient être réputés nécessaires au fonctionnement du service public. Après avoir rappelé que les jeux de casino, qui ne constituent pas par eux-mêmes une activité de service public, doivent être qualifiés comme tel dès lors qu’ils participent au développement économique et culturel et à l’animation touristique de la ville, la Cour précise que des services comme la restauration ou l’hôtel participent pleinement à un tel service public… ce qui traduit une conception particulièrement large de ce dernier et donc des biens de retours constitués par les immeubles nécessaires à son fonctionnement.
La Cour rappelle néanmoins, et à juste titre, que l’entrée dans le patrimoine de la personne délégante de ces biens implique leur réalisation effective et leur utilisation pour le service public.
En l’espèce, le bien n’ayant pas été construit, « aucun amortissement n’est intervenu et la part non amortie du bien dont devait être indemnisé le concessionnaire est donc égale à la totalité de sa valeur ce dont il résulte que les créances respectives, d’ailleurs virtuelles, de la collectivité concédante et de la société concessionnaire s’annulent ».
Ainsi, la commune n’a subi aucun préjudice du fait de la valeur du bien de retour non entré dans son patrimoine et le titulaire du contrat n’a de son côté droit à aucune indemnisation résultant d’un non-amortissement des équipements en cause étant donné qu’ils n’existent tout simplement pas.
Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé
Président de l’APASP
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