La fraude survit à tout, elle se délecte des situations de crise. Les pandémies, les guerres, loin d’en réduire le potentiel en multiplient les opportunités. Les fraudes en tout genre se multiplient autour de la corruption et de l’engeance criminelle. Nous assistons à l’éclosion de la « Corona-fraude ».
Elle s’attaque aux particuliers en multipliant la diffusion de montages classiques sur Internet prospérant sur la baisse de surveillance relationnelle causée par le confinement, sur l’angoisse et sur le rejet des solutions d’État. À partir de sites hébergés en France et de pages web légales piratées, les fraudeurs sont bien référencés et peuvent tromper les visiteurs. La pénurie et l’urgence leur facilitent le travail. Après une solide recherche en ingénierie sociale les bandes criminelles contactent les cibles leur proposant l’achat de masques, de gel, de produits miracles, de médicaments qui font le buzz qui ne seront jamais livrés. D’autres sites, vendent les contrefaçons de ces mêmes produits. Les cagnottes « bidon » ne sont pas en reste ainsi que les inévitables plateformes de courtage proposant des placements dont le rapport laisse rêveur. PONZI quand tu nous tiens ! Les plateformes sont installées chez des hébergeurs dans des pays non contrôlés. Les protocoles de connexion garantissent l’anonymat. L’effet de masse permet de récupérer des fonds sans grande fatigue d’autant plus qu’il n’y a guère de plaintes. Le démarchage téléphonique existe aussi il porte sur des désinfections, des fausses aides à domicile. Quelques faux agents publics sévissent encore, visant les réserves d’espèces constituées par les personnes âgées.
La criminalité se taille la part du lion sur la toile en multipliant les cybers attaques ciblant les entreprises. Des centaines de millions sont en jeu. Les crises génèrent la désorganisation des services. L’intensification du télétravail est pour eux une opportunité promptement saisie. Les quatre cavaliers de l’apocalypse des cyberattaques interviennent alors massivement et on retrouve le tour de main de la « mafia franco-israélienne » qui a sévi dans les fraudes au président et dans tant d’autres fraudes.
L’hameçonnage (phishing), en usurpant l’identité d’un tiers de confiance des informations confidentielles (mots de passe, informations personnelles ou bancaires) sont récupérées à des fins de revente ou d’accession aux systèmes d’information des organisations.
Les agressions par rançongiciel (ransomware) se multiplient. Après s’être introduits sur le réseau de l’entreprise par ses entrées à distance ou par l’équipement d’un collaborateur, l’accès aux données est bloqué. Suit une demande de rançon à l’entreprise empêchée de travailler. Ce type d’attaque s’accompagne souvent d’un vol de données et d’une destruction préalable des sauvegardes. Les criminels œuvrant dans ces activités sont organisés en groupements flexibles dont les stratégies divergent. Les données volées seront revendues ou diffusées pour nuire. Un système de camouflage perfectionné permet de blanchir les Bitcoins encaissés.
Les faux ordres de virement (FOVI/BEC) sont légion, l’usurpation de l’identité d’un dirigeant ou de l’un de ses mandataires, d’un fournisseur ou d’un prestataire, voire d’un collaborateur, permet d’obtenir un virement exceptionnel et confidentiel, ou un changement des coordonnées de règlement (RIB) d’une facture. Là aussi on compte en millions.
Les fraudes mettent les échanges en risque, ici un marché noir des masques, là les ventes de respirateurs flambent sur le bon coin, nombre de pharmacies améliorent leurs marges en vendant sous le manteau. Plus grave, l’ensemble du système logistique est grippé, les contrats ne sont plus que tigres de papier ; même payée d’avance la marchandise peut ne pas arriver. Encore faut-il s’assurer de sa qualité ! Les règles du commerce ne sont plus respectées, les États utilisent des pratiques de voyou pour se fournir, certains refusent de livrer, d’autres encaissent sans fournir, d’autres encore surenchérissent en cash, nous entrons clairement dans la barbouzerie. La confiance se perd. La criminalité experte dans l’organisation des transports est à son aise lorsque les avions restent au sol et elle facture son entregent et les chantages à l’envol.
Lorsque les processus de contrôle dégradés peuvent aisément être contournés, depuis le dirigeant jusqu’à l’arpète chacun peut en profiter s’il le désire. De plus l’État paiera ! Les opérations économiques se réalisent dans l’urgence, dans un cadre de contrôle déstabilisé. Ainsi, l’analyse des tiers, essentielle en matière de fraudes et de corruption, peut être négligée, les passe-droits, les forçages et le fractionnement des opérations affectent l’ensemble des systèmes. Le passage immédiat et peu préparé d’un environnement de bureau sécurisé à un travail à distance engendre des risques de sécurité majeurs. Les marchés publics et privés sont affectés du fait de la soudaineté de la crise et de l’explosion de la demande, ainsi que de l’anormalité des sommes en cause. Quelques malins peuvent utiliser leur pouvoir pour s’enrichir en facilitant les fraudes.
La pression commerciale exceptionnelle génère, dans de telles circonstances une flambée de la corruption. La demande mondiale inédite de masques, de respirateurs, et de médicaments pour les hospitaliers confrontés à une offre restreinte volontaire ou non ouvre des opportunités exceptionnelles et uniques aux aigrefins de la corruption, dont l’humanité est encore à démontrer.
Le Congrès des États-Unis a pris récemment 25 mesures pour éviter que la corruption ne vienne entraver la mise en œuvre d’un plan d’urgence déployé en réponse à cette crise sanitaire. Deux mesures phares sont retenues : la protection des contrats publics d’un détournement au profit d’acteurs privés et l’exclusion de tout intérêt privé en amont de l’adaptation législative…
On peut aussi raisonnablement penser qu’à l’occasion du financement par l’État de l’économie, les abus sont inévitables dans les situations d’arrosage généralisé, on l’a constaté avec le CICE. Certaines grandes entreprises seront tentées notamment de charger un peu sur le chômage partiel. Il faut donc dès maintenant que les services mettent leurs tableurs en charge maximale pour faire en sorte que la remise en marche soit le moins possible affectée par ces dérives. Ne faudrait-il pas conditionner la subvention à la production d’un produit ou d’une prestation vitale et à un prix correct ? Les fonds obtenus ne pouvant être détournés vers les augmentations de salaires et les bonus de la direction ou vers le versement de dividendes et les rachats d’actions. Les carences de contrôles préventifs constatées lors des carrousels TVA, des contrats CO2, des subventions européennes et des fraudes au président ont mis en évidence une tendance forte à l’impréparation des contre-mesures.
L’expérience enseigne aussi que les crises font apparaître au grand jour les déviances pratiquées en période de vaches grasses. On prête à Warren Buffet une prédiction émise au moment de la crise des subprimes : « c’est quand la mer se retire qu’on reconnaît ceux qui se baignent nus ». Elle est plus que jamais d’actualité. Et les dérives ont été nombreuses, l’endettement destiné au rachat de ses actions, la recherche d’effets de levier monstrueux et les titrisations disproportionnées se sont multipliées, faisant fi des leçons de la crise précédente. Les jeux de bourse utilisant les ventes à découvert en période de crise boursière se sont poursuivis jusqu’à récemment, même les entreprises ayant pignon sur rue s’y sont embringuées. Les entreprises étant considérées comme des objets d’achat, de revente et d’endettement, sorte de Monopoly rémunérateur permettant de s’enrichir et d’engraisser les intermédiaires participant à la curée, on peut s’attendre à un déferlement d’offre d’achat inamicale auxquelles les entreprises devront se préparer. Il faudra inévitablement solder la facture !
Confrontée au fléau du « Corona virus » la croyance en la mondialisation heureuse semble s’essouffler ; en même temps les « gens de rien », ceux qui ne sont ni assez intelligents, ni assez subtils, ni assez techniques se sont imposés en tant que pourvoyeurs essentiels de vie. Les hommes constatent que ce qui prévalait allait à vau-l’eau et implosait, avalé par la pandémie. L’industriel, méprisé et abandonné, dont la monétisation est lente, le travail humain toujours trop onéreux sont indispensables. À l’évidence, l’État, ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal, gaiement massacré pendant des décennies dispose, seul, des moyens de protection utiles. Une prise de conscience a, semble-t-il, eu lieu au contact du fléau. Quelques sentiments élémentaires oubliés depuis longtemps semblent apparaître. Mais qu’il est grand, au cœur du danger de mieux vivre l’amour, l’amitié et la solidarité. Cependant, fions-nous à notre vieille expérience, quand le fléau s’éloigne, les villes s’ouvrent, les peurs s’éteignent, les gens oublient et comme en 2008, une fois les États essorés, le système va se reproduire, « as usual ». L’inconscience aussi se perpétue, il n’est de grands esprits que ceux qui se souviennent !
Noël PONS, Ancien inspecteur des impôts, essayiste
Expert anti-fraude et anti-corruption
Directeur pédagogique des certificats fraude et corruption de l’École Supérieure de la Sûreté des Entreprises (ESSE)
Jean-Paul PHILIPPE, Ancien chef de la Brigade Centrale de Lutte contre la Corruption
Expert anti-fraude et anti-corruption
Directeur pédagogique des certificats fraude et corruption de l'École Supérieure de la Sûreté des Entreprises (ESSE).
2024 - L’ACHAT PUBLIC ENTRE AVERTISSEMENTS, PROMESSES ET DEFIS
L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
Lire plusRelocalisons les marchés publics !
La commande publique, qu’elle émane des services de l’Etat ou des collectivités, représente des enjeux économiques considérables et ne peut subir aucune inégalité de traitement.
Lire plusMarché public global de performance à paiement différé : une fausse joie ?
Ce fut la bonne nouvelle du printemps : le marché global de performance, jusque-là bridé par le sacro-saint principe d’interdiction de paiement différé, a enfin vu son régime assoupli sur ce point par la loi 2023-222 du 30 mars dernier. Certes limité aux travaux de rénovation énergétique - un domaine où les besoins sont évidemment immenses -, et pour une période expérimentale de 5 ans, cette possibilité tant attendue par les acteurs tant publics que privés de la construction de pouvoir étaler les paiements des investissements a été perçue comme une véritable bouffée d’air. Pourtant, du fait d’amendements déposés pendant l’étude du texte, la montagne risque d’accoucher d’une souris. C’est bien dommage : le secteur de la construction et de l’aménagement aurait bien mérité de bénéficier d’un outil simple et efficace à une époque où l’environnement tant national qu’international ne lui apporte pas que de bonnes nouvelles.
Lire plus