Entretien avec la patronne du premier bailleur social de France. Après le plan d'achat de 40 000 logements en Vefa en 2020, CDC Habitat envisage des acquisitions foncières, veut augmenter sa part de production de logements en maîtrise d'ouvrage interne et ouvrir une réflexion sur l'habitabilité et la qualité des logements à l'aune de la crise sanitaire. Jusqu'à récemment fléché sur les territoires métropolitains, il tisse sa toile dans les secteurs détendus - 4 000 des logements de son plan Vefa concernent des communes Actions Cœur de ville - et souhaite répondre aux besoins des élus, main dans la main avec la Banque des territoires et les SEM.
Propos recueillis par Lucie Romano pour Cadre de Ville.
Au printemps dernier, peu après le déclenchement de la crise sanitaire, CDC Habitat a lancé un appel à projets portant sur l'achat aux promoteurs de 40 000 logements en Vefa. C'est ainsi que la filiale immobilière de la Caisse des dépôts s'est engagée dans la relance. Quel est l'atterrissage de ce plan ?
100 000 logements nous ont été proposés, les 40 000 annoncés ont été identifiés, à des stades d'avancement assez différents - certaines opérations étaient déjà en chantier mais leur solde de commercialisation ne s'était pas fait, d'autres opérations avaient un permis obtenu, purgé, mais présentaient un risque de remise en question. Notre action a eu un réel effet de déblocage.
Si je qualifie ces 40 000 logements, 35 000 se répartissent en métropole de la manière suivante : 20 000 logements qu'on appelle abordables (avec des loyers de l'ordre de 5% sous le marché), 10 000 logements intermédiaires (loyers de 10 à 15% sous le marché) et 5 000 logements sociaux. Pour l'outre-mer, nous avons identifié de l'ordre de 6 000 logements, principalement locatifs sociaux.
C'était assez différent de ce qu'on avait pu imaginer au départ pour ce qui est de la proportion de logements abordables, mais ça correspond à ce qu'il y avait dans les portefeuilles des promoteurs : des opérations destinées à l'accession privée, qui correspondaient aussi à un marché du locatif plus proche du libre que du social. Pour certaines de ces opérations-là, par ailleurs, la part sociale avait déjà été acquise par un bailleur social et finalement l'opération n'aurait pas pu se faire si la part libre n'avait pas trouvé preneur - notre action a donc eu aussi un effet levier sur la production de logements sociaux.
Sur quels territoires se trouvent ces logements ?
A 55% on est en zones A et Abis et à 45% en zone B1 ou autre. C'est donc assez bien réparti sur l'ensemble du territoire. Si on regarde les collectivités relevant d'Action Cœur de ville, on a près de 4 000 logements de l'appel à projets, soit 10%, qui vont sortir sur les territoires de collectivités labellisées.
On a aussi noté une diversification au niveau des promoteurs concernés. Précédemment, notre groupe travaillait essentiellement avec des majors, et avec cet appel à projets, nous travaillons avec une centaine de promoteurs, les majors mais aussi des promoteurs régionaux. C'est intéressant pour la suite parce que ça crée de nouveaux partenariats.
Quelles livraisons de logements anticipez-vous à court et moyen terme ?
Sur 35 000 logements en métropole, nous avons signé à peu près la moitié des opérations à fin 2020 et l'autre moitié va être signée en 2021. On aura de premières livraisons en 2021 mais c'est surtout en 2022-2023-2024 qu'interviendront des livraisons extrêmement massives, puisque l'ordre de grandeur sera de 30 000 livraisons sur ces années-là. C'est notre très grosse contribution à la relance et elle se poursuit donc en 2021 et au-delà.
CDC Habitat est le plus important bailleur social de France (avec plus de 510 000 logements locatifs sociaux, intermédiaires et libres) et était jusqu'ici fléché vers les zones tendues. Pourquoi avoir fait le choix d'aller sur les villes moyennes ? Quelle est la corrélation avec le programme Action Cœur de ville ?
Sur les villes moyennes, notre implication est issue de la conjonction de deux facteurs assez récents. Le premier, c'est la restructuration du tissu des organismes de logements sociaux avec la loi Elan, qui a amené le groupe CDC Habitat à signer, en 2019 et 2020, des partenariats avec des organismes sur des territoires où le groupe n'était pas forcément présent - dans des villes plus détendues, par exemple à Vichy ou Draguignan. Fin 2020, 35 partenariats ont été signés et ils représentent un volume de 300 000 logements - ce n'est pas négligeable. Ce sont des organismes dont les tailles vont de 1 000 logements à 11 000 logements. C'est une réelle évolution de stratégie de la part du groupe - si le plan de relance était intervenu il y a quelques années, nous ne nous serions peut-être pas penchés sur ces territoires...
La création de la Banque des territoires et le fait que CDC Habitat en soit pleinement partie prenante a aussi fait que le groupe a élargi sa palette d'interventions, sur la rénovation de centres anciens ou encore le traitement des copropriétés dégradées. Ces deux ou trois dernières années, CDC Habitat s'est donc repositionné en opérateur beaucoup plus global, tant en matière de types de territoires que de types d'interventions (avec aussi de l'ingénierie de montages complexes).
Est-ce qu'il y a, à terme, un marché locatif pour ce type de marchés détendus ? C'est le bémol qu'on peut mettre sur le ciblage de cette opération. Mais si on est sur du locatif, et qu'il faut donc quand même qu'il y ait un marché local, on peut considérer, notamment sur le logement abordable, il s'agira d'accession différée - nous assurons un portage quelques années avant de remettre ces logements sur le marché de l'accession. Il y a une profondeur de champ de marché de 6 à 10 ans, la revente n'est pas immédiate.
Quelle place pouvez-vous prendre dans les projets comprenant un volet de revitalisation commerciale ?
Sur le sujet des commerces, on agira en partenariat avec la Banque des territoires sur les foncières de redynamisation commerciale qui ont vocation à ça. Nous avons identifié des territoires sur lesquels nous pourrions monter quelques opérations pilotes avec la Banque des territoires et leurs foncières de redynamisation. Ce peut être des endroits où CDC Habitat est déjà présent, sur une commune où il demeure une problématique commerciale. C'est tout l'intérêt de jouer des synergies avec la Banque des territoires.
Par ailleurs, sur certains territoires, nous avons des partenariats avec des SEM qui ne font pas seulement du logement mais ont aussi des compétences en matière de revitalisation commerciale. Cela dépend des outils qui sont en place et de la manière dont on peut travailler avec eux.
Globalement, dans ces territoires Cœur de ville, les collectivités sont en attente de voir comment on peut les aider. On essaie de les accompagner sur de l'ingénierie de montage ou le cas échéant sur de la maîtrise d'ouvrage d'opérations, mais surtout sur la coordination d'opérateurs. C'est à la carte, on répond à la demande de nos partenaires, il n'y a pas un schéma d'intervention unique. Ce sont des sujets qui vont prendre de l'ampleur dans les trois ans à venir. L'idée est bien d'outiller nos directions interrégionales pour qu'elles puissent elles-mêmes bien accompagner nos partenaires sur ces projets.
Peut-on s'attendre à un second appel à projets Vefa de votre part ?
Pour 2021, on pourrait se dire qu'on a déjà embarqué 20 000 signatures d'actes potentiels et qu'on s'arrête là. Pour une année "normale", antérieurement au plan Vefa, en 2018-2019 par exemple, on était à entre 15 000 et 20 000 logements produits chaque année... Mais on va poursuivre nos efforts de développement. On sera sur un rythme supplémentaire par rapport aux 20 000 du plan Vefa de 10 000 à 15 000 logements en 2021, selon comment ça répond. On a une vraie problématique sur cette année, qui ne concerne pas tant l'écoulement du stock des promoteurs - qui pouvait être le sujet de 2020, mais aujourd'hui la commercialisation est plutôt bonne - que la question des autorisations d'urbanisme et des projets. Il y a une sorte de panne des projets en ce moment, ce qui préoccupe tout le monde. On va sur des opérations beaucoup moins matures, beaucoup plus en amont que l'an passé où les opérations pouvaient être lancées. Dans les portefeuilles des promoteurs désormais, les projets sont en phase amont.
Après les élections municipales en effet, d'une manière assez traditionnelle, les nouvelles équipes et les anciennes réélues ont revisité les projets et cela nous semble tout à fait légitime. Mais en lien avec le contexte du moment, cette phase de revisitation des projets est plus radicale que ce qu'on a pu connaître précédemment.
Face au risque de panne de la production de logements à l'avenir, nous réfléchissons au fait que cela serait pertinent d'aller sur des acquisitions foncières pour sécuriser la production 2022-2023.
Quand on dit qu'on veut se positionner sur du foncier en amont, ça peut être entrer dans des sociétés de projet avec d'autres, ça peut aussi être en co-promotion, l'idée étant de faire émerger les projets. Aujourd'hui le groupe n'a pas décidé d'aller sur de l'aménagement.
Sur quel type de territoire et de projet voulez-vous développer le portage foncier ?
Ce portage foncier devrait s'opérer plutôt sur des territoires tendus, là où les besoins sont importants et où il y a davantage de ralentissement sur la sortie des projets. Parfois seuls, donc, parfois en partenariat.
Je pense notamment à la transformation de bureaux en logements, des opérations qui sont complexes, longues, qui parfois nécessitent des modifications de PLU et pour lesquelles il peut se poser des questions de portage. Nous voyons arriver des sollicitations en ce sens, qu'on n'avait pas auparavant sur ce type de projets. Mais nous visons plus large, du foncier en cours d'aménagement, tout type de projets.
La crise sanitaire en cours pousse-t-elle CDC Habitat à reconsidérer l'enjeu de l'habitabilité et de la qualité des logements ?
C'est encore émergent et il n'y a pas encore de grandes certitudes qui se dégagent. Néanmoins, nous inscrivons cet enjeu très fortement dans notre projet d'entreprise. Notre production est extrêmement importante, donc pour nous, il est essentiel d'être partie prenante de cette réflexion sur ce qu'est le mode d'habiter de demain, sur la manière d'intégrer les usages tout au long de la journée - comme lieu de vie et de travail - mais aussi selon les temps de vie - l'évolutivité. Nous initions cette réflexion, en souhaitant pour partie le faire avec les promoteurs avec lesquels nous travaillons, car avec la grosse part de production en Vefa, les logements que nous allons gérer demain vont être produits pour une bonne part par les promoteurs. Nous souhaitons, dans nos partenariats futurs, introduire ces notions d'usage, d'innovation, quitte même à partager des expérimentations avec les promoteurs. Même chose pour les exigences environnementales et l'intégration du changement climatique.
Nous avons aussi notre propre production en maîtrise d'ouvrage interne, même si ces derniers temps elle a été relativement modeste, les Vefa ayant mobilisé extrêmement les équipes. J'aimerais reprendre une production en propre un peu plus significative, notamment pour pouvoir porter ces réflexions et innovations - c'est parfois plus facile de le faire sur ses propres produits. C'est un axe important pour nous.
Quel est votre objectif de production en maîtrise d'ouvrage interne ?
Aujourd'hui, CDC Habitat produit de l'ordre de 20%, probablement moins avec le plan Vefa. L'idée est, très progressivement, de passer à 30% voire 40%. C'est important pour mener toutes ces réflexions, il faut avoir des équipes qui mettent en œuvre en plus d'y réfléchir.
En complément de ce travail avec vos partenaires promoteurs, envisagez-vous de lancer un appel à manifestation d'intérêt ou un appel à projet pour pousser cette innovation dans le logement ?
Pour l'instant, nous allons procéder au gré des partenariats. En ce début d'année, on voit tout le monde pour le plan de relance, etc, donc ça permet d'impulser ces attentes. Nous n'avons pas encore envisagé d'autres possibilités.
CDC Habitat affiche de nombreuses ambitions environnementales. Quelles sont-elles en matière de rénovation énergétique notamment ?
Sur notre propre parc d'habitat social, nous n'avons plus que 2% de notre parc en [étiquette énergétique] F et G et l'objectif d'éradiquer ces 2% restants à horizon 2025. Aujourd'hui, la consommation énergétique moyenne du parc est de 150 kWh.ep/m²/an. L'ambition est d'aller en 2050 à 80 kWh.ep/m²/an. Et on est en train de travailler à un plan climat qui succédera à notre plan stratégique et énergétique et qui intégrera d'autres dimensions de l'approche climatique - confort d'été, risques inondation, etc -, l'objectif étant de cartographier notre patrimoine par rapport à ces risques.
Ensuite, j'ai évoqué les partenariats avec les organismes de logements sociaux. On prend une participation de 30 à 40% tout en exerçant un contrôle conjoint. On amène des fonds propres aux organismes pour les accompagner sur leur développement mais aussi sur leur réhabilitation thermique.
Quel rôle doit jouer le logement social au sens large dans les évolutions urbaines ?
Dans les projets urbains, nous cherchons la bonne mixité de produits à l'échelle d'un quartier. Comment le logement social trouve sa place soit dans du renouvellement urbain soit dans des projets de quartier ? Comment on crée des quartiers équilibrés, comment on arrive à gérer les parcours résidentiels, comment on passe du logement social à d'autres logements, en accession sociale à la propriété, par exemple ?
Dans cet objectif d'équilibre de la ville, j'aimerais développer l'accession via le BRS et les OFS. Bien sûr, nous répondons à un besoin premier de logements, mais c'est important pour nous d'être présent sur tout le parcours, du très social (via Adoma) au social, en passant par l'intermédiaire, l'abordable et donc le BRS.
Nous sommes attentifs aussi à la question des travailleurs clés. Aujourd'hui, les publics prioritaires font que les travailleurs-clés ont plus de difficultés à se loger dans le social. Ils sont d'ailleurs plus éligibles au logement intermédiaire - nous avons regardé dans notre parc : 40% des occupants sont des travailleurs clés.
Propos recueillis par Lucie Romano, rédactrice en chef adjointe de cadredeville.com le 19 janvier 2021.
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