Président de l’Association des acheteurs publics (AAP), Alain Bénard nous donne son sentiment concernant l’impact de la crise sanitaire sur une profession désormais au cœur des politiques publiques, et sur l’évolution du métier et des règles. Selon lui, l’acheteur 3.0, non content de manier les matières juridique, technique et économique, sera aussi un excellent pédagogue.
santé-achat.info : Plusieurs responsables des achats de grandes organisations françaises publiques et privées estiment que la crise sanitaire a mis en valeur le rôle majeur de leur métier. Partagez-vous ce sentiment ?
Alain Bénard : « Je suis d’accord. Les achats sont sur le devant de la scène. Dans le secteur des collectivités, au renouvellement des assemblées délibérantes avec de nouveaux objectifs politiques à intégrer s’est ajoutée l’indispensable agilité pour trouver des solutions dans l’urgence aux nouveaux besoins provoqués par l’épidémie. Au-delà de la recherche des équipements de protection individuels, il a fallu, dans les communes et quelle que soit leur taille, apporter une aide et une assistance aux personnes vulnérables ou en souffrance ».
santé-achat.info : La fonction est-elle reconnue comme stratégique ?
Alain Bénard : « Les directions générales ont tout intérêt à s’appuyer sur les services achats pour trouver des leviers et dégager des marges de manœuvre. Si l’année 2021 sera délicate à gérer budgétairement, l’année 2022 pourrait s’avérer encore plus compliquée.
L’acheteur doit être en mesure de faire des propositions adaptées aux objectifs de sa structure. Mais c’est vrai qu’il doit être porté et poussé par sa direction générale, et dans les collectivités, les élus en charge du sujet ou du développement durable et de l’économie sociale et solidaire. »
santé-achat.info : On exige beaucoup des acheteurs : il leur faut trouver des biens et des services de meilleure qualité à un coût moindre, tout en privilégiant l’innovation, en respectant l’environnement, et en donnant leur chance aux PME. Est-ce un nouvel opus de Mission impossible ?
Alain Bénard : « L’acheteur a toujours une solution et impossible n’est pas français. Si la situation pose problème, il ne doit pas, dans tous les cas, monter au front isolé. Et l’explication à la hiérarchie doit être collective. Si on lui fixe par exemple un objectif de 100% de denrées locales dans la perspective de la loi Egalim, alors que les filières actuelles ne le permettent pas, mieux vaut qu’il s’associe avec le responsable restauration, pour démontrer comment s’approvisionner pour confectionner un repas équilibré, composé avec des aliments locaux en fonction des disponibilités du lieu.
J’ajouterai que le facteur temps est devenu un autre impératif. Alors que l’acheteur dispose, en temps normal, de trois à quatre mois pour réaliser ses études en amont, on lui en donne aujourd’hui deux, parce qu’il s’agit de rendre rapidement la copie afin de pouvoir postuler aux crédits prévus par le Plan de relance ».
santé-achat.info : On aurait pu croire que l’arrivée du Code de la commande publique apporterait un peu de stabilité à la réglementation des marchés. Mais il a déjà été amendé de nombreuses fois par le gouvernement et le Parlement. N’est-ce pas perturbant ?
Alain Bénard : « Un droit capable d’évoluer, c’est aussi un droit qui s’adapte en fonction des organisations et des contraintes. N’oublions pas que les autres codes évoluent régulièrement également, certes peut-être moins systématiquement. J’y vois une preuve de l’importance de l’achat, le premier levier des politiques publiques dans le domaine économique pour agir en faveur du développement durable, de la diversité, de la mixité… Tous les champs des possibles sont dans la commande publique.»
santé-achat.info : Dernier exemple en date de cette réglementation en perpétuelle mouvance, le projet de loi Climat prévoit d’obliger l’acheteur à intégrer au moins un critère environnemental. Qu’en pensez-vous ?
Alain Bénard : « J’y suis plutôt favorable. Cela fait maintenant près de 15 ans que des marchés comprennent des critères développement durable, sans que les pondérations dépassent de 5 à 10%. Le mouvement s’essouffle, un peu comme les clauses sociales. Il faut redonner de la vigueur à la démarche. »
santé-achat.info : Souvent glorifié dans les colloques professionnels, le coût global peine à trouver sa place dans les critères des appels d’offres. Comment l’expliquer ?
Alain Bénard : « Le coût global a toujours été l’un des chevaux de bataille de notre association puisque notre premier président Christian Durant (président de l’association de sa naissance, en 1992, jusqu’en 2004, NDR) a milité pour son intégration dans les appels d’offres. Mais il pondère l’absence de l’outil. « Le coût global est dans l’ADN du bon acheteur quand bien même il n’a pas défini un critère à proprement parler, parce qu’il ne peut pas en faire abstraction. Il l’aborde de manière automatique, en demandant, pour l’analyse des offres, des éléments capables de le faire réfléchir sur les impacts pendant une durée de 3 à 5 ans. Mais c’est vrai que l’exercice n’est pas simple et que certaines familles d’achat, comme les véhicules ou les solutions d’impression se prêtent plus à la démarche. »
santé-achat.info : Comment voyez-vous le métier évoluer ?
Alain Bénard : « L’acheteur 1.0 était compétent dans le domaine juridique. Apparu il y a quelques années, l’acheteur 2.0 a élargi son expertise aux secteurs économiques et techniques. Il est capable de sourcer, de rencontrer les fournisseurs, et de travailler de manière transversale avec tous les services de son organisation.
L’acheteur 3.0 va ajouter à cette palette une qualité indispensable, celle de la pédagogie. Faire comprendre la commande publique, réussir à expliquer à sa hiérarchie et à ses clients internes ce qui doit changer et évoluer dans ses marchés, mais qu’il y a aussi des choses qu’on ne peut plus faire, ce n’est pas donné à tout le monde. »
santé-achat.info : Ajouter une nouvelle corde à l’arc risque de compliquer encore les recrutements…
Alain Bénard : « Sans doute. On n’acquiert forcément la diplomatie indispensable à la fonction à l’université ou dans une école et être un bon acheteur nécessite de l’expérience. Mais un professionnel pourra acquérir cette compétence avec une bonne formation adaptée ».
2024 - L’ACHAT PUBLIC ENTRE AVERTISSEMENTS, PROMESSES ET DEFIS
L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
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La commande publique, qu’elle émane des services de l’Etat ou des collectivités, représente des enjeux économiques considérables et ne peut subir aucune inégalité de traitement.
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Ce fut la bonne nouvelle du printemps : le marché global de performance, jusque-là bridé par le sacro-saint principe d’interdiction de paiement différé, a enfin vu son régime assoupli sur ce point par la loi 2023-222 du 30 mars dernier. Certes limité aux travaux de rénovation énergétique - un domaine où les besoins sont évidemment immenses -, et pour une période expérimentale de 5 ans, cette possibilité tant attendue par les acteurs tant publics que privés de la construction de pouvoir étaler les paiements des investissements a été perçue comme une véritable bouffée d’air. Pourtant, du fait d’amendements déposés pendant l’étude du texte, la montagne risque d’accoucher d’une souris. C’est bien dommage : le secteur de la construction et de l’aménagement aurait bien mérité de bénéficier d’un outil simple et efficace à une époque où l’environnement tant national qu’international ne lui apporte pas que de bonnes nouvelles.
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