Les 7e Entretiens du Cadre de Ville ont fait le plein, ce 11 octobre, d'acteurs de l'urbain venus croiser leurs pratiques avec les expériences de terrain sur 15 thèmes déclinant la démarche "Engagés pour la transition 2050". Sobriété foncière et ZAN, décarbonation des quartiers et ville désirable étaient au programme d'une journée dense en cas d'école. "Nous ne sommes qu'à peine au début de l'expérimentation, alors que nous devrions passer à l'industrialisation", a pourtant estimé Aude Debreil, co-présidente du réseau des aménageurs, en table-ronde d'ouverture. Les laboratoires que sont les opérations d'aménagement ont vocation à produire des références généralisables, lui a fait écho Franck Boutté, ingénieur Grand Prix de l'urbanisme 2022, en clôture.
La salle des lustres pendant la table-ronde entre architectes, aménageurs, l'Ademe et l'Etat - reportage photos @EntretiensduCadredeVille2022
"Bravo", commente au lendemain de la journée le représentant d'un grand bureau d'études français, filiale d'une grande maison. "Les sujets abordés, et les projets présentés retranscrivent bien, me semble-t-il, les préoccupations de la profession." Comprendre : de la profession des acteurs de l'urbain au sens large
Aude Debreil, directrice de l'EPA Sénart, et co-présidente du Réseau national des aménageurs : "il y a un sujet d'acculturation des élus - certains prennent même prétexte du ZAN pour ne rien faire -, mais les professionnels des travaux ne sont pas mûrs non plus. Un promoteur a du mal à discuter avec producteur de chanvre, dont on ne sait pas non plus s'il livrera le produit attendu" - "il faut travailler avec l'habitant évidemment - on voit qu'une métropole active comme Nantes qui vise le zéro carbone avant 2050 passe beaucoup de temps à concevoir les projets avec les habitants, pour les amener à changer de comportement"
Valérie Flicoteaux, architecte et urbaniste, vice-présidente du CNOA - "le projet de territoire est le bon point de départ pour concevoir une ville résiliente et accueillante" - "la place des architectes, des urbanistes, des paysagistes, et de toutes les équipes de maîtrise d'œuvre est en amont, aux côtés des élus pour les accompagner, avec les aménageurs, dans la mise en place de leur projet"
"L'Etat assume son rôle", a réaffirmé Jean-Baptiste Butlen, sous-directeur de l'aménagement durable au ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires - "le fonds friches est pérennisé, et s'inscrit, avec le fonds renaturation, dans le budget vert d'1,5 milliard d'euros par an annoncé par la Première ministre" - et de confirmer par ailleurs la sortie de nouveaux décrets d'application de la loi Climat Résilience portant sur le ZAN : "le décret sur la mise en place d'observatoires locaux est sorti du Conseil d'Etat, et devrait bientôt être publié"
Des écologues de plus en plus convoqués
'Nous travaillons avec des architectes, des urbanistes, des paysagistes, mais il faudrait aussi avoir des écologues', note un aménageur de l'Etat. De fait, comme le signale Cadre de Ville, la SPL Lyon Part-Dieu en exige un dans le groupement qui va succéde à l'AUC (lire ICI). 'Mais il faudrait qu'ils interviennent beaucoup plus en amont, et à l'échelle de toute la ville !', s'exclame Patrice Vallantin lors de sa key-note du matin. Ecologue lui-même, il préside l'Union professionnelle du Génie écologique, et expose les principes biologiques, ceux de la vie, sur lesquels fonder un aménagement : des principes de respect des fonctionnements éco-systémiques, qui propose de les restaurer, sur la base de diagnostics à l'échelle des communes.
'Le ZAN donne l'opportunité de penser différemment. La notion du respect des fonctions biologiques du sol est clé', affirme Patrice Valantin, qui propose 'un outil de l'appréciation des services écosystémiques que la nature rend à l'homme. C'est le meilleur indicateur que l'on ait des effets de la vie sur nous.' Et de proposer une méthode en trois points : 'Un, compréhension des systèmes vivants, deux, compréhension des fonctionnalités des écosystèmes, et trois une mise en œuvre plus systémique de nos projets.' Bref, 'l'enchâssement dans le fonctionnement des écosystèmes'.
Daniela Sanna, responsable du pôle Aménagement des villes et territoires à l'Ademe, rappelle les effets positifs du respect des écosystèmes dont Patrice Valantin a fait la base de son intervention d'écologue
Lors du Focus sur la façon dont les aménageurs, publics et privés s'emparent de la décarbonation, Jean-Marie Quéméner, chef du bureau de l'aménagement opérationnel au ministère, et Anne Fraisse, directrice d'Urbain des Bois (Icade), ont présenté l'avancement de la feuille de route de décarbonation de la filière aménagement dont ils ont la mission de la rédaction, confiée par le ministère de la Transition écologique, dans le cadre de l'élaboration de la Stratégie française énergie climat. La feuille de route doit être rendue fin janvier 2023.
A g. Jean-Marie Quéméner à côté d'Anne Fraisse (au micro), interrogés par Inès Edel-Garcia, journaliste à Cadre de Ville
Parmi les projets innovants présentés dans la journée, Valérie Lasek, directrice générale de l'EPA Bordeaux Euratlantique est venue détailler l'instruction du permis de construire d'un immeuble "sans destination" - porté par Elithis et l'agence Canal Architecture, la demande d'autorisation est instruite par l'Etat. Dans le cadre dérogatoire du "permis d'innover", l'EPA a expérimenté depuis des mois la possibilité de faire autoriser le permis d'un "immeuble prêt à tout". "Nous avons fini par faire la somme des contraintes exigées pour du bureau et pour du logement", explique Valérie Lasek, qui avoue qu'au bout du compte, l'EPA n'a pas obtenu l'avis favorable des pompiers, confrontés à des règles diamétralement oposées selon le mode d'occupation. L'immeuble sans destination ne s'est vu accorder qu'un permis tacite. Mais la directrice ne désarme pas. Elle poursuit les discussions avec les services d'incendie au niveau national, tout en étudiant, avec le ministère, les retouches réglementaires qui pourraient lever les obstacles.
Valérie Lasek, directrice générale de Bordeaux Euratlantique
Sept "petits récits" par Franck Boutté en conclusion de la journée
Particulièrement en phase avec les thématiques de la journée, le Grand Prix de l'Urbanisme 2022 Franck Boutté a tenu en haleine des participants restés nombreux pour l'entendre. L'ingénieur a, de fait, rebouclé les problématiques soulevées dans la journée dans une évocation précise des attitudes qu'il estime nécessaires à tenir par les acteurs de l'aménagement, "ces super-héros qui interviennent sur à peine 2% du territoire pour fabriquer des méthodes de référence". Au cœur de son propos, une démarche inspirée notamment du "macroscope" de Joël de Rosnay, cet outil imaginaire qui pourrait permettre de comprendre la complexité : c'est la systémique, dont Franck Boutté développe les aspects, en la croisant avec l'indispensable approche multiscalaire.
Le croisement, un des concepts fructueux qu'il défend, amène à associer des disciplines très différentes les unes des autres pour passer de la perspective à la prospective. Des continuités de la nature, l'homme a fait des discontinuités qui conduisent à préconiser la recherche des non-discontinuités, de la chambre à coucher à la géographie.
En évoquant les leçons que peut apporter le voyage vers le sud, puisque le climat nous y conduit, Franck Boutté termine en évoquant la responsabilité des acteurs de la ville, à la fois pour influencer les politiques locales et nationales qui les dépassent, et pour mettre en situation d'alléger leur empreinte carbone les citoyens - résidents comme invités -, dont ils modifient le cadre de vie.
Rémi Cambau
> Tous les échanges, toutes les présentations de projets sont disponibles dès maintenant dans l'onglet Entretiens de Cadre de Ville
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L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
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