Deux arrêts récents de cours administratives d’appel (CAA) rappellent la possibilité et les limites de la résiliation unilatérale d’un marché public par l’entreprise co-contractante de l’Administration. Effectivement, bien qu’une telle hypothèse soit envisageable, elle reste encadrée, notamment en vue de préserver la continuité du service public.
Depuis un arrêt de 2014 (CE, 8 octobre 2014, n°370644), il est admis qu’une société puisse résilier un marché public. Pour ce faire, il faudra toutefois remplir deux conditions : d’une part, que cette possibilité ait été prévue dans le contrat et d’autre part, que l’objet du marché en question n’ait pas pour objet l’exécution même du service public. En outre, la personne publique peut toujours s’y opposer en invoquant un motif d’intérêt général. Dans une première affaire, la CAA de Nancy a admis la résiliation d’un marché public relatif à la location de photocopieurs. En effet, le collège n’ayant payé aucun des loyers alors que le matériel avait été mis à sa disposition par la société, cette dernière a décidé de résilier le contrat. Toutes les conditions étant réunies (possibilité prévue au contrat, marché n’ayant pas pour objet l’exécution même du service public, proposition faite au collège de s’opposer à cette résiliation pour un motif d’intérêt général), la résiliation dénoncée par la société a été validée par le juge administratif. Ce dernier a toutefois rejeté la demande d’indemnisation formulée par la société. En effet, le contrat prévoyait une indemnité de résiliation correspondant à dix-huit trimestres de loyers de location, alors que le collège avait utilisé le matériel pendant trois trimestres seulement. S’il est possible pour l’entreprise de demander une indemnité en cas résiliation anticipée de sa part, cette dernière ne doit toutefois pas présenter un caractère manifestement excessif. L’indemnisation initiale de 18.000 euros a donc été réduite par la juge à 8.500 euros, correspondant aux loyers non échus pour la seule période d’utilisation du matériel.
Dans la seconde affaire, la CAA de Bordeaux a tranché une affaire relative à la résiliation d’un marché public de prestations de surveillance des passagers et des bagages en soute conclu entre la société ASA Réunion et le syndicat mixte de Pierrefonds, exploitant de l’aéroport de Saint-Pierre. Invoquant le déséquilibre économique de l’activité, la société avait décidé de résilier le contrat trois mois avant son terme. Cependant, le syndicat mixte a été contraint de poursuivre l’exécution du marché avec la société pour les trois mois restant afin d’assurer la continuité du service public aéroportuaire. Pour pallier l’impossibilité de résilier le marché, la société titulaire a doublé le prix de ses prestations. A l’échéance du marché, la personne publique a donc émis un titre exécutoire à l’encontre de la société en vue de récupérer le surcoût de l’exécution du marché sur les trois derniers mois. Cette dernière a alors saisi le juge administratif en vue de l’annulation du titre exécutoire. Dans cet arrêt, intervenant après renvoi du Conseil d’Etat, la CAA a rappelé que la résiliation anticipée à l’initiative du co-contractant était en l’espèce impossible (possibilité non prévue au contrat, marché ayant pour objet l’exécution même du service public). Elle a ensuite précisé que la seule voie de recours ouverte à l’entreprise titulaire était de demander une indemnité au titre des dépenses exposées en raison de sujétions imprévues. De telles sujétions se caractérisent d'une part par un caractère exceptionnel, imprévisible et extérieur et, d'autre part, par un bouleversement de l'économie générale du marché.
L’APASP
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Référence :
CAA de Nancy, 7 juillet 2016, n°15NC02137
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000032897806&fastReqId=1181507373&fastPos=1
CAA de Bordeaux, 15 juillet 2016, n°15BX04090
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000032912586
Achat et commande publics : on continue de vivre une époque formidable
Les années passent et se ressemblent… cette nouvelle année qui s’ouvre pour la commande publique s’accompagne, comme toujours, d’interrogations sur ce qui attend les acheteurs et la sauce à laquelle ils vont pouvoir être mangés. Les deux décrets 2024-1217 et 2024- 1251 publiés les 28 et 30 décembre derniers ont à la fois clôturé l’année passée et donné le la pour celle à venir : l’évolution des textes est et va rester constante, un peu comme un pendule de Foucault et son éternel mouvement. Bien sûr, dès lors que ces évolutions sont motivées par des intentions louables, comme celle de la simplification des règles, elles ne sont pas contestables en soi ; même si on a ici et là la désagréable impression qu’on a de plus en plus tendance à s’éloigner de l’acte d’achat proprement dit, avec ses objectifs d’efficacité et de bonne gestion de l’argent public, au bénéfice d’autres objectifs dont celui de la protection de l’environnement et du développement durable.
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L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
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La commande publique, qu’elle émane des services de l’Etat ou des collectivités, représente des enjeux économiques considérables et ne peut subir aucune inégalité de traitement.
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