Toute nouvelle réglementation relative aux marchés publics - ainsi qu'aux concessions - commence immanquablement par un rappel du tryptique liberté-égalité-transparence qui forme le socle sur laquelle elle repose et justifie les procédures de publicité et de mise en concurrence applicables aux contrats en cause. On doit y rajouter les objectifs d'efficacité et de bonne gestion de l'argent public, ce dernier ayant d'ailleurs été élevé par le conseil constitutionnel - à l'instar de l'égalité et de la protection des propriétés publiques -au rang des exigences à valeur constitutionnelle.
Ne serait-ce que pour sécuriser ses procédures et éviter d'éventuels contentieux, tout acheteur public a à cœur de respecter ces principes et objectifs. Sans doute ne faut-il pas cependant franchir certaines limites, une application trop abusive de l'un d’entre eux pouvant conduire à une confrontation avec un ou plusieurs des autres.
La transparence dans les marchés publics se retrouve en amont de leur passation, via les différentes modalités de publicité devant être mises en œuvre en fonction des seuils et procédures, mais aussi en aval au travers des obligations d'information et de motivation des décisions à destination des tiers et plus particulièrement des candidats évincés.
Reconnue comme fondamentale, dès le premier euro dépensé, par la Cour de Justice de l'Union Européenne- la fameuse décision Telaustria du 7 décembre 2000-, la transparence a même été renforcée par les deniers textes et notamment le décret relatif aux marchés public du 25 mars 2016. L'obligation d'informer les candidats non retenus a en effet été étendue aux marchés à procédure adaptée, auxquels n'est cependant toujours pas appliqué le délai de stand still et donc l'impossibilité de signature du contrat pendant un certain délai, ce qui enlève un intérêt certain à cet effort de transparence.
Mais du coup, comme en appel d'offres, les candidats évincés vont pouvoir demander des explications sur les motifs ayant justifié le choix de l'acheteur, ainsi que la communication de documents relatifs à la procédure de passation du marché et au marché lui-même.
Et c'est là que tout se corse.
Dans un mouvement de défense de la transparence, les acheteurs peuvent en effet être tentés de répondre favorablement à la demande des entreprises et de leur donner un maximum d'informations et de pièces. Or, s'ils leur transmettent la totalité du procès-verbal d'analyse des offres ou encore le contenu de l'offre de l'opérateur classé en tête ainsi que des documents comme son bordereau de prix, ils risquent de porter atteinte à son secret professionnel et commercial. Et donc, en étant trop transparent, ils iraient à l'encontre des règles et principes élémentaires du droit de la concurrence.
Heureusement, la Commission d'accès aux Documents Administratifs et surtout le Conseil d’Etat sont venus réguler ce domaine particulièrement sensible. Les acheteurs savent ainsi qu'ils ne sont pas obligés de transmettre tous les documents qu'on sollicite d'eux, s'agissant par exemple du bordereau des prix de l'entreprise attributaire qui doit être préservé au titre du secret commercial( CE,30 mars 2016, centre hospitalier de Perpignan, req 375529).Et s'agissant du procès-verbal d'analyse des offres, seules quelques mentions relatives à cette dernière ainsi qu'au candidat à l'initiative de la demande peuvent être communiquées, les autres mentions pouvant être dissimulées par l'acheteur, qui doit donc jouer un rôle d'équilibriste afin de tracer une frontière acceptable entre concurrence et transparence.
On sait donc que depuis l'arrêt Telaustria précité, les principes de non-discrimination, d'égalité de traitement et de transparence impliquent qu’une publicité et une mise en concurrence minimales doivent être mis en place pour tous les contrats de la commande publique et ce dès le premier euro dépensé. Même si la Cour est venue par la suite nuancer sa position via le critère de l'intérêt transfrontalier, elle implique la mise en place de procédures par les acheteurs publics même pour leurs marchés de faible montant.
Là encore, il leur appartient de trouver de subtils équilibres, cette fois entre respect des principes de liberté, d'égalité et de transparence et des objectifs d'efficacité et de bonne gestion des deniers publics. On se souvient à ce titre d'un arrêt du Conseil d'Etat d'octobre 2005 où une procédure de passation d'un marché de programmation lancé par la Région Nord pas de Calais dans le cadre de la construction du musée du Louvre-Lens a été contestée pour publicité insuffisante. S'agissant en l'espèce de prestations estimées à 35000 euros, la région avait pourtant effectué une publication au sein du journal la voix du Nord, avec un relais au Moniteur des travaux publics ainsi que sur sa plateforme internet. Au vu du caractère éminemment concurrentiel du marché, le Conseil d'Etat a estimé que le périmètre de publicité était insuffisant et qu'il aurait dû avoir davantage d'ampleur nationale voire européenne.
Etant donné que, sauf pour ce qui est du JOUE, la publicité d'annonces légales est loin d'être gratuite, la contrainte souhaitée par la haute juridiction - même s'il ne s'agissait que d'un cas d'espèce - risque de mener à une situation paradoxale où le cout de la publicité avoisine voire dépasse un quart du montant prévisionnel du marché. Une telle situation, loin d'être isolée, est-elle vraiment conforme aux objectifs susvisés d'efficacité de l'achat public et de bonne utilisation de l'argent public? On peut en douter, comme on peut rester dubitatifs en lisant des règlements intérieurs élaborés par des acheteurs publics soucieux de placer davantage le curseur au niveau de la sécurité juridique que de l'efficience économique et financière de leurs procédures d'achat; ce qui n'est pas le moindre des paradoxes à une heure où ces dernières sont considérées comme des leviers essentiels en faveur des économies budgétaires susceptibles d'être réalisées au sein des collectivités concernées.
On pourrait donner bien d'autres exemples du même acabit, comme celui de l'utilisation de procédures longues et contraignantes qui, sous couvert à nouveau de la sécurité et de la transparence, induisent un cout et un temps de passation disproportionnés au regard de l'objet du marché. Et on ne parle même pas des dérapages desdites procédures dus à des problèmes de définition des besoins et, plus largement, de compétence et d'organisation.
Il faut donc raison garder et éviter des confrontations trop frontales entre les principes et autres objectifs qui gouvernent les contrats de la commande publique. C'est un des défis que doivent se fixer les acheteurs publics, qui traduit une des facettes de la difficulté et de la complexité de leur métier.
Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier
Président de l'APASP
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