Vaste et riche mais aussi iconoclaste sujet que celui que l'on a choisi de traiter dans le cadre de cette première rencontre d'un cycle de conférence qui est appelé à être long et régulier entre la Cour Administrative d'Appel et le Barreau de Paris.
On a en effet l'habitude d'aborder le thème de la commande publique au travers de ses acteurs principaux, à savoir les acheteurs publics et les opérateurs économiques. On le traite sans doute moins au travers de ceux qui provoquent, défendent et jugent des actions contentieuses. L'achat public s'identifie en effet le plus souvent au travers des étapes de préparation, de passation et d'exécution des contrats qui en sont l'ossature juridique; contrats de marchés publics et de concessions qui, si l'on en croit un rapport sénatorial ( joliment intitulé de la défiance à la confiance) d’octobre 2015 représentent un montant de 400 milliards d'euros par an en y incluant les PPP. Un tel chiffre peut apparaitre démesuré et irréaliste...il représente pourtant 20% de notre PIB, ce qui correspond peu ou prou à la moyenne des États de l ´Union Européenne qui est de 18% selon les dernières études de la commission.
D'abord, les juges et les avocats sont là pour faire respecter les principes et les règles qui gouvernent la matière. Les avocats, en provoquant pour certains, des contentieux face à des situations et décisions qu'ils estiment irrégulières, et en essayant pour les autres de démontrer que lesdites situations et décisions sont au contraire parfaitement légales; et les juges étant appelés à trancher entre ces deux positions et à donner raison à l'une d'entre elles au nom de la légalité mais aussi de l'intérêt général, de la loyauté des parties au contrat, de la stabilité des relations contractuelles voire de l'équité entre les cocontractants. Il s'agit là d’un élément essentiel de la bonne application du droit de la commande publique. La commission européenne opère d'ailleurs chaque année un classement de ses États membres sur ce point, en fonction de différents critères dont le nombre de contentieux lancés par les opérateurs économiques directement devant elle ou les juges du Luxembourg et, en liaison avec cela, l'efficacité et l'effectivité de leurs mécanismes internes de recours. En fonction de ces critères, l'Etat Français est plutôt bien classé, preuve sans doute de la maturité de son système de recours en matière de contrats de la commande publique...
Ensuite, et en liaison avec cela, les juges et les avocats participent pleinement à l'élaboration des règles de la commande publique, dans un domaine en évolution et mutation constantes. Les derniers textes entrés en vigueur, tant s'agissant des directives de 2014 que de l'ordonnance du 23 juillet 2015 et de son décret d'application du 25 mars 2016, ont pris en compte la jurisprudence européenne et interne relative aux marchés publics et aux concessions. Pour donner ne serait-ce qu'un seul exemple, le sourcing - terme paradoxalement jamais utilisé dans les textes- a d'abord été en quelque sorte adoubé par la jurisprudence tant de la CJUE que du Conseil d’Etat avant d'être gravé dans le marbre des directives et de leurs textes de transposition.
Mais cette participation à l'élaboration et à l'évolution des règles de droit revient surtout au juge, administratif en l'espèce même si le juge judiciaire peut être amené à être saisi de contentieux de marchés publics souscrits par des structures de droit privé dès lors que, en vertu de l'article 3 de l'ordonnance de 2015, seuls les marchés publics passés par des personnes morales de droit public sont des contrats administratifs.. L'avocat a t'il lui aussi un rôle à jouer en la matière? De par ses plaidoiries mais aussi et surtout, dans un domaine où elles revêtent une grande importance, ses écritures, assurément. Les magistrats administratifs rappellent régulièrement cette importance pour eux des requêtes et mémoires en réplique élaborés par les avocats, dans un domaine particulièrement technique où la qualité de la démonstration et de l'argumentation peut se révéler décisive. Et cette importance est encore plus aiguë dans les procédures de référés, où magistrats se retrouvent seuls et ont évidemment besoin d'écritures de qualité pour s'imprégner au mieux des problèmes qui leurs sont soumis avant d'entendre les arguments des parties à l'oral.
Au-delà des audiences et des moments de contentieux, il est indispensable de développer un dialogue entre les juges et les avocats, surtout à nouveau dans une matière aussi complexe et mutante que celle des contrats de la commande publique. Si les nouveaux textes de 2015 et 2016 n'ont pas véritablement bouleversé les règles et principes applicables aux contrats de la commande publique, assis sur un socle solide, ils ont provoqué suffisamment de changements pour nécessiter un temps suffisant d'explication et d'appréhension afin que les acheteurs publics mais aussi les magistrats et les avocats puissent se les approprier...d'où le dialogue susvisé, qui est d'autant plus une ardente obligation que le droit des marchés publics et concessions semble être frappé par un mouvement perpétuel d'évolution. En témoignent ainsi les effets de la loi Sapin 2, votée en décembre dernier, qui a confié au gouvernement le soin d'adopter par ordonnance d'une part un code des contrats de la commande publique et d'autre part un régime de passation pour les conventions d'occupation domaniale. Rendez-vous en 2018 pour échanger et dialoguer sur la parution de ces textes et leur impact sur le quotidien des juges et avocats intervenants en la matière...
Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier
Président de l’APASP
2024 - L’ACHAT PUBLIC ENTRE AVERTISSEMENTS, PROMESSES ET DEFIS
L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
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Ce fut la bonne nouvelle du printemps : le marché global de performance, jusque-là bridé par le sacro-saint principe d’interdiction de paiement différé, a enfin vu son régime assoupli sur ce point par la loi 2023-222 du 30 mars dernier. Certes limité aux travaux de rénovation énergétique - un domaine où les besoins sont évidemment immenses -, et pour une période expérimentale de 5 ans, cette possibilité tant attendue par les acteurs tant publics que privés de la construction de pouvoir étaler les paiements des investissements a été perçue comme une véritable bouffée d’air. Pourtant, du fait d’amendements déposés pendant l’étude du texte, la montagne risque d’accoucher d’une souris. C’est bien dommage : le secteur de la construction et de l’aménagement aurait bien mérité de bénéficier d’un outil simple et efficace à une époque où l’environnement tant national qu’international ne lui apporte pas que de bonnes nouvelles.
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