Bien qu'il ait conduit à une annulation pour des raisons d'incompétence, l'arrêt 403768 du Conseil d'Etat du 17 mars dernier, M. A… et Ordre des avocats de Paris, récemment commenté dans ces colonnes, a donc confirmé la légalité sur le fond des dispositions de l'article 142 du décret du 25 mars 2016 relatives au médiateur des entreprises.
Il n'est pas inintéressant d'y consacrer quelques réflexions supplémentaires, qui touchent à des aspects fondamentaux du présent et de l'avenir des contrats de la commande publique.
Deux leçons peuvent notamment être tirées de cette décision.
Le fait que la médiation des entreprises soit placée au même niveau que les comités consultatifs de règlement amiable des litiges au sein d'un texte relatif aux marchés publics n'est pas un hasard. Le médiateur est ainsi pleinement reconnu comme une voie de règlement amiable des différends, "afin d'aider les parties qui en ont exprimé la volonté à trouver une solution mutuellement acceptable à leur différend" ainsi que le précise le texte, et plus précisément l'article 142 en cause.
L'ex médiateur inter-entreprises, devenu médiateur des entreprises, a étendu son activité aux marchés publics et donc au règlement des différends entre ses acteurs. Au regard des statistiques fournies par la médiation (100 médiations effectuées par an il y a 4 ans contre 100 par mois aujourd'hui), il s'agit pour le moins d'un secteur en pleine croissance, preuve des importants besoins en la matière. Si la question des retards de paiement - à l'origine de plusieurs dizaines de faillites d'entreprises chaque jour selon le médiateur - est celle qui fait l'objet de la majorité des saisines, bien d'autres sujets sont à l'origine de différends, des pénalités disproportionnées à la modification des contrats sans compensation en passant par la propriété intellectuelle ou les difficultés rencontrées lors de l'exécution des marchés de travaux.
Dans son arrêt du 17 mars, le Conseil d'Etat a donc jugé que l'article 142 du décret ne créait pas de monopole au profit du médiateur des entreprises, les parties au contrat restant libres de recourir au médiateur de leur choix. Et le choix est en l'espèce particulièrement riche, lesdites parties pouvant faire appel à un expert ou un sachant quel qu’ils soient, dès lors qu'ils sont tiers au contrat et qu’ils ne sont pas en situation de conflit d'intérêt. La loi du 18 novembre 2016 sur la modernisation de la justice administrative a même étendu le recours à la médiation à l'ensemble des litiges administratifs, sachant que les juges des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel peuvent toujours être saisis non pas au contentieux mais en tant que conciliateurs. Le Tribunal administratif de Grenoble vient ainsi d'être désigné pour les quatre années à venir afin d'expérimenter une extension de cette voie de conciliation entre les parties dans le cadre d'un litige.
Le développement exponentiel des accords transactionnels, qui permettent de mettre fin à un litige né ou à naitre, traduit bien ce réel engouement pour le règlement par voie amiable des différends, dont le médiateur des entreprises est donc devenu un des acteurs prépondérants.
Dans les prochaines années, le défi va être de former suffisamment de médiateurs et conciliateurs afin de répondre à la demande et de pouvoir fournir toutes les compétences nécessaires.
Une des critiques lancées contre cette intervention du médiateur des entreprises était qu'elle concurrençait illégalement les professionnels du conseil, et en premier ceux intervenant en matière de conseil juridique. Le Conseil d'Etat a cependant estimé dans son arrêt du 17 mars qu'elle ne méconnaissait ni le principe du commerce et de l'industrie, ni le droit de la concurrence, dès lors que ce service du ministère de l'économie et des finances se bornait "à mettre en œuvre la mission d'intérêt général, qui relève de l'Etat, de développer les modes alternatifs de règlement des litiges, corollaire d'une bonne administration de la justice".
Un tel dispositif n'est pas sans rappeler celui de l'arrêt, toujours du Conseil d'Etat, du 31 mai 2006, communément appelé Ordre des avocats à la Cour d’Appel de paris, relatif cette fois au positionnement de la Mission d'Appui aux contrats de partenariat. Son intervention n'avait pas, là également, été jugée contraire au principe et droit susvisés, dès lors que, la saisine de cette mission était le plus souvent facultative et que ses prestations étaient rendues gratuitement.
Les interventions de la médiation des entreprises étant également gratuites et facultatives, il peut donc être fait un lien entre elle et la Mappp devenue depuis FIN INFRA.
La création et le champ d'intervention de ces deux organismes, qui ne disposent pas de la personnalité juridique et sont directement rattachés à un ministère, traduit une forme particulière d'intervention de l'Etat dans l'économie, qui a pour objet d'assister les structures publiques mais aussi privées - au moins pour le médiateur - dans la passation ou l'exécution de leurs contrats. Ainsi voit-on se développer un véritable service public, gratuit et accessible au plus grand nombre - l‘arrêt du 17 mars mentionnant même les acheteurs et les entreprises "disposant de moyens limités" - qui, sous couvert d'une légitimation par l'intérêt général, permet à l'Etat de venir concurrencer en toute légalité les opérateurs économiques intervenant dans les domaines en question; à l'instar, au niveau local, des agences techniques départementales qui sont venues remplacer les feu DDE et DDA et interviennent en termes de conseil et d'accompagnement auprès des communes et EPCI.
Une telle présence de l'Etat répond à un évident besoin, notamment de la part des petites collectivités publiques qui n'ont ni les moyens ni les compétences d'assurer avec efficacité leurs politiques contractuelles. Elle n'est pas vraiment nouvelle, plusieurs services de l'Etat et en premier lieu la direction des Affaires Juridiques du Ministère de l'Economie et des Finances exerçant depuis un moment déjà des activités et prestations similaires. De par son ampleur, elle traduit cependant une recomposition profonde du paysage de l'assistance et du conseil, notamment juridique, tout particulièrement dans le domaine sensible des contrats de la commande publique. Les opérateurs dont c'est le métier devant de plus en plus s'adapter à un environnement où la concurrence ne provient pas toujours de là où ils l'attendaient.
Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Président de l’APASP
Directeur Scientifique du Cercle Colbert
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