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Le 23/03/2017 à 18h

Un opérateur peut-il soumissionner à un marché après être intervenu en amont de sa passation ?

La question se pose de façon assez récurrente, et les réponses ne sont pas toujours appropriées : une entreprise qui a effectué une étude préalable ou une consultation sur un projet spécifique a-t-elle le droit de candidater en vue de l'obtention du marché lancé pour la mise en oeuvre dudit projet? Une telle candidature ne risque-t-elle pas d'être écartée pour atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats?

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, les acheteurs disposent en la matière d'une marge de manœuvre certaine, même si elle est quelquefois délicate à délimiter.

Un opérateur peut-il soumissionner à un marché après être intervenu en amont de sa passation ?

Une reconnaissance textuelle

A une heure ou le sourcing - ou sourçage selon les goûts - a été officialisé tant par le Conseil d'Etat que par les nouveaux textes sur les marchés publics de 2015 et 2016, le temps est venu pour les acheteurs de se pencher sur les modalités de leurs échanges préalables avec les opérateurs économiques.

Et parmi ces modalités figure celle de la section 2 du Titre II-chapitre I du décret 2016-360 du 25 mars 2016 dénommée" participation d'un opérateur économique à la préparation du marché public". La participation à la procédure de passation d'un marché public d'un opérateur économique "qui aurait eu accès, du fait de sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de cette procédure" n'est ainsi exclue que si ledit opérateur a eu accès à "des informations ignorées des autres candidats ou soumissionnaires", de telles informations étant susceptibles de créer des distorsions de concurrence par rapport aux autres candidats. Et cette exclusion ne peut être effectuée que "lorsqu'il ne peut être remédié à cette situation par d'autres moyens" conformément à l'article 48 de l'ordonnance 2015-899 du 23 juillet 2015 relatif aux interdictions de soumissionner facultatives.

Autrement dit, une telle participation est possible sauf à démontrer que la situation de l'opérateur en cause lui a conféré un avantage par rapport à ses concurrents, son exclusion ne pouvant de plus être en quelque sorte prononcée qu'en dernier recours.

Et une exclusion ou une éviction d'une procédure de marché pourrait se retourner contre l'acheteur public en étant déclarée contraire à la liberté d'accès à la commande publique... Encore un bel exemple de la difficulté de tracer une frontière stable entre cette dernière et le principe d'égalité...

Les prémisses jurisprudentielles

Comme souvent en droit de la commande publique, les textes n'ont fait que transposer des jurisprudences existantes. Dès le 29 juillet 1998, dans un arrêt Genicorp, le Conseil d'Etat a reconnu que le principe de liberté d'accès à la commande publique s'opposait à ce que "les acheteurs publics rejettent une candidature au seul motif que le candidat a été précédemment chargé d'une mission de recherche, d'expérimentation, d'étude ou de développement portant sur la prestation objet du marché pour sa réalisation". De même, la Cour de Justice de l'Union Européenne, à l'époque CJCE, a jugé irrégulière une décision interdisant à un bureau d'études de participer à la procédure de passation d'un marché de maitrise d'œuvre alors qu'il avait effectué une étude préalable à cette procédure, sans que lui soit laissée la possibilité de faire la preuve que, dans les circonstances de l'espèce, l'expérience acquise par lui n'avait pu fausser la concurrence (3 mars 2005, FABRICOM SA, aff.C-21/03 et C-34/03).

Mais dans ces deux cas d'espèce, l'acheteur - ou, selon les terminologies utilisées, le pouvoir adjudicateur- a dû s'assurer que le candidat en cause n'avait pas recueilli d'informations susceptibles de l'avantager et de porter atteinte à l'égalité de traitement avec les autres soumissionnaires.

Comme l'ordonnance de 2015 et le décret de 2016, la jurisprudence tant interne qu'européenne reconnait donc pleinement la faculté pour une entreprise de soumissionner à un marché public alors qu'elle est intervenue en amont de sa passation sur le même objet sur lequel il porte. Mais elle laisse la responsabilité aux acheteurs de vérifier la régularité d'une telle faculté, ce qui n'est pas toujours chose aisée.

Règles prudentielles

Alors comment faire pour accepter la candidature ou l'offre d'une telle entreprise et éviter toute accusation pouvant même conduire à un délit de favoritisme dans le sens de l'article 432-14 du code pénal?

La clé se trouve sans doute dans la rédaction d'une ordonnance du tribunal administratif de Dijon du 16 décembre 2010, Sté Synapse construction, s'agissant en l'espèce d'un bureau d'études ayant réalisé une étude de faisabilité en amont du lancement d'une procédure relative à un marché de maitrise d'œuvre portant sur la construction d'une chaufferie. Selon le juge, l'égalité de traitement entre les candidats n'a pas été rompue dès lors que l'étude ainsi réalisée a été communiquée à l'ensemble des entreprises ayant candidaté au marché. En l'espèce cependant, la collectivité s'était contentée de reprendre dans le corps du marché des éléments essentiels de l'étude, ce qui a été jugé insuffisant par le tribunal.

La règle est de bon sens et fait cette fois appel au troisième pilier du droit de la commande publique, le principe de transparence. Il suffirait donc de communiquer à tous les candidats le document- étude, consultation voire modèle de cahier des charges- objet de la suspicion afin que cette dernière soit levée. Encore faut-il être certain dans ce cas que les études réalisées et les droits de reproduction permettent une telle diffusion...

Cela suffira-t-il? Afin d'éviter au maximum toute situation de doute, il est conseillé aux acheteurs publics de mettre en place de vraies stratégies d'anticipation du risque contentieux en la matière, en laissant par exemple un délai raisonnable entre la fin de la consultation préalable et le lancement effectif de la procédure de passation du marché, afin qu'ils puissent se détacher des résultats de ladite consultation, de leurs auteurs et des techniques ou procédés particuliers y figurant.

Et puis bien évidemment, dans le cas où la marché serait finalement attribué à l'opérateur ayant effectué la consultation préalable, l'acheteur a tout intérêt à bien soigner la motivation de son choix au regard des critères et sous critères annoncés dans l'AAPC et le règlement de consultation, afin à nouveau d'écarter toute suspicion pouvant éventuellement peser sur un tel choix.

Comme souvent en achat public, tout est donc affaire de prévention, de précaution et d'équilibre.

Maître Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Président de l'APASP
Directeur Scientifique du Cercle Colbert

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