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Le 10/01/2019 à 14h

Nantes - Johanna Rolland : "On est en train de construire la troisième étape de l'histoire urbaine nantaise"

Élue en 2014 à la tête de la Ville de Nantes, Johanna Rolland affirme mener une synthèse entre politique d'attractivité face à la concurrence européenne, et l'attention au lieu de vie et à l'échelle fine de l'urbanisme du quartier et de la rue. Entretien avec celle qui souhaiterait écrire un autre chapitre de l'histoire urbaine de Nantes, un chapitre où la nature en ville et la maîtrise d'usage jouent un rôle important.

Nantes - Johanna Rolland : "On est en train de construire la troisième étape de l'histoire urbaine nantaise"

Johanna Rolland est une maire de synthèse. Élue en 2014, après un court mandat de deux ans du successeur de Jean-Marc Ayraud, Patrick Rimbert, elle souhaite imprimer une marque à son mandat en lançant de grands projets urbains en changeant d'échelle, affirmant le fait métropolitain à Nantes. Arrêt du PLU métropolitain, lancement du chantier du Plan de Déplacements Urbains, politique de construction de logements volontaristes, avec un objectif de 6000 logements annuels au Programme Local de l'Habitat, l'ambition d'une Métropole attractive passe également, selon elle, par l'attention portée à la dentelle, au quartier, à la rue, au ménage. Une synthèse qui semble fonctionner, puisque la métropole Nantaise affiche une croissance insolente, et son centre absorbe l'essentiel de cette augmentation, avec une flambée de l'immobilier bien en deçà de celle que connaît Bordeaux. Une stratégie urbaine qui prend la couleur d'un programme politique, à l'heure où l'élue a annoncé il y a plus d'un an être candidate à sa propre succession. Entretien.

Cadre de ville - L'un des objectifs des deux derniers grands projets urbains lancés à Nantes, la ZAC des Isles et le Bas Chantenay, est "d'élargir le centre-métropolitain", pourriez-vous développer ce point de vue ?

Johanna Rolland - Pour répondre à cette question, il faut revenir sur l'histoire urbaine de Nantes. Nantes n'est pas seulement dans une concurrence française, mais européenne. La logique d'attractivité, elle doit se cultiver. Moi, je considère qu'aujourd'hui il y a un risque dans les grandes métropoles françaises, qui est le risque de la standardisation. Demain, dans dix ans, on risque d'avoir partout en Europe, que des grandes villes qui se ressembleraient, où on consommerait pareil, où on habiterait pareil, où on aurait les mêmes pratiques culturelles, etc.

Et donc, un des choix que je fais à Nantes, c'est de cultiver la singularité nantaise. Nous avons un cap et une vision stratégique pour ce territoire, et on entend bien cultiver notre singularité, ainsi qu'une forme de 'temps d'avance', qu'on a sur un certain nombre de sujets. C'est notre objectif global.

"Cultiver la singularité"


Un objectif qui se traduit par plusieurs dimensions. Concernant l'extension de la centralité métropolitaine, on peut considérer qu'il y a eu deux étapes dans l'urbanisme nantais, et nous sommes en train d'en bâtir une troisième. L'acte urbain de renaissance de la ville, c'est le réaménagement du cours des cinquante otages, au début des années 90. On passe d'un boulevard à plusieurs voies, à une avenue urbaine. C'est la première étape qui permet de rejoindre les deux parties du centre-ville du château à la place Royale, et qui permet la rénovation des grandes places nantaises.

L'étape deux, quant à elle, a été inventée au début des années 2000, avec l'apparition de l'île de Nantes comme objet urbain. C'est le moment où Marcel Smets, après Chémetoff, est le premier à parler de "méta centre" : on doit élargir la notion de centre-ville historique, et donc on vient adjoindre, en quelques sortes, au centre-ville historique, l'île de Nantes, tout en lui donnant une fonction de laboratoire urbain.

À présent, nous sommes en train de construire la troisième étape de l'histoire urbaine nantaise : nous posons les jalons d'un nouveau cœur de métropole, qui prend la forme d'un triangle, dont les sommets n'ont de sens que parce qu'ils dialoguent ensemble. L’île de Nantes, la ZAC des Îles, à Rezé, et le Bas Chantenay. Ces trois projets représentent un potentiel de 200 ha à l'intérieur du périphérique, ce qui fait de Nantes un cas à part parmi les métropoles françaises. C'est à la fois une chance incroyable, et une grande responsabilité : qu'est-ce qu'on en fait ? Quelles activités y implanter ?

CdV - Justement, quelle cohérence pour les projets urbains nantais aujourd'hui ?

J. R. - Le premier fil conducteur que j'ai donné à ce futur cœur de la métropole, c'est de renouer avec la Loire. Parce que, dans la manière de faire la ville, on sent bien qu'il y a eu une sorte d'éloignement de la ville à son fleuve, mais aussi des Nantais. Un des premiers actes lancés au début de mon mandat, c'est de lancer un grand débat citoyen sur la Loire, qu'on a appelé "Nantes, la Loire et nous", auquel plus de 40 000 personnes ont participé. Les participants ont affirmé clairement leur envie de toucher la Loire, dans tous les sens du terme : de pouvoir voir le fleuve, y avoir accès, et de redonner vie à ses accès. Le projet a donc été de retourner ce cœur de métropole vers la Loire. Que ce soit l'île de Nantes, le Bas Chantenay, ou les Isles, on le pense avec cette volonté de renouer avec l'eau.

Le deuxième élément, c'est que le cœur d'une métropole européenne a aussi vocation à accueillir des équipements métropolitains, qui confèrent un statut de métropole européenne. C'est pourquoi nous déménageons le CHU pour en faire un pôle plus important, sur l'île de Nantes.

"Naviguer à toutes les échelles"


La troisième dimension, c'est d'accélérer sur la transition écologique. Le fil des projets, c'est de faire de Nantes une ville de référence en termes de transition écologique. Je vous invite à voir ce qui va se faire avec Frédéric Bonnet sur la zac des Isles, notamment autour de tous les enjeux de résilience, et de tous les enjeux d'économie circulaire. Je souhaite faire de la ZAC des Isles un de nos démonstrateurs de l'économie circulaire.

Et puis un mot sur le bas Chantenay : c'est un quartier qui a une place particulière dans l'histoire de Nantes, un des quartiers ouvriers nantis, et un des premiers arbitrages que j'ai fait sur ce territoire, c'est de conserver une fonction d'activités économiques. Parfois quand on refait la ville, on pousse les secteurs économiques ailleurs. Nous, on n'a pas fait ce choix là. On a fait le choix de dire que le Bas Chantenay a aussi vocation à accueillir des activités économiques, et notamment on a l'ambition d'y développer une filière nautique.

Le dernier élément, c'est qu'on doit être capable de naviguer à toutes les échelles : celle d'une métropole européenne qui rayonne, et celle de l'ultra proximité. Pas seulement à l'échelle de l'îlot, mais à celle de la rue. C'est-à-dire, partir de l'échelle de la rue, et des attentes des habitants. Autant on a besoin des compétences de tout le monde, des architectes, des promoteurs et des urbanistes, autant on ne fait pas tout ça pour concourir à un prix d'architecture. On ne fait pas ça simplement pour avoir une ville à voir, mais pour avoir une ville à vivre. Une ville qui soit agréable pour les habitants. Nous tentons de développer cette idée de croiser le regard des experts avec celui des habitants, et de penser la maîtrise d'usage.

CdV - Après Pirmil les Isles et le Bas Chantenay, quelles seront les prochaines étapes du projet urbain nantais ?

J. R. - Déjà, il faut terminer les projets engagés et lancés. Concernant l'Île de Nantes, nous sommes en effet à une nouvelle étape, mais il reste à développer tout le quartier République autour du futur CHU. L'île de Nantes a fait ses preuves en termes de laboratoire urbain, et dans sa capacité à fabriquer une autre urbanité, mais il faut maintenant aller vers le Sud.

Et puis, quand on regarde la ZAC des Isles à Rezé, ou le Bas Chantenay, ce sont des projets de ce mandat, et qui nous projette sur une période de quinze ans. Et c'est à cette échelle là que le cœur de la Métropole va s'imaginer et se construire. Et c'est pour ça qu'on est dans un moment passionnant : on est en train d'imaginer le futur coeur de la métropole, et on part pour un voyage de plus d'une dizaine d'années.

CdV - Vous parlez de laboratoire urbain, de temps d'avance, comment être à la pointe aujourd'hui en urbanisme ?

J. R. - Ce n'est pas un hasard si, aujourd'hui, ce sont des paysagistes qui mènent des groupements à Nantes. Jacqueline Osty sur l'île de Nantes sur le projet Feydeau Commerces, au centre-ville, Phytolab pour le projet de la gare. La nature en ville est une manière de conserver ce temps d'avance, et le choix de donner un rôle plus important aux paysagistes en fait partie.

"Faire de la nature en ville un facteur d'attractivité"


La deuxième, c'est qu'on n'a pas qu'une conception esthétique de la nature en ville. Bien sûr, ça participe au cadre de vie, ça participe à la qualité de vie, et bien sûr que la ville sera complètement transformée à l'avenir grâce à la nature, mais nous comptons en faire un facteur d'attractivité. On s'est inspiré de la ville de Boston, aux États-Unis, qui a été la première à faire de la présence de la nature un facteur d'attractivité. On développe la première branche d'une "étoile verte", depuis la gare vers le Bas-Chantenay, afin d'utiliser nos parcs et jardins comme un potentiel d'attractivité. Et, l'idée, c'est de mettre en réseau ces parcs et jardins afin de relier les différentes branches de l'étoile.

Le troisième élément, c'est l'idée de l'urbanisme qualitatif. On parle souvent de m², de quantités lorsque l'on crée la ville, mais la qualité est au moins aussi importante. Sur l'île de Nantes, on a demandé aux architectes comment l'habitat pouvait s'adapter aux différentes étapes de la vie des habitants. Ça peut paraître anodin, mais ça ne l'est pas, ça fait partie de cette idée de prendre soin de la ville, la dentelle, le cousu main... Toutes ces petites choses qui peuvent faire la différence dans la vie quotidienne. L'inauguration du projet Îlink, début novembre, en est un exemple. Développer la qualité urbaine en ville, ça permet à la fois de ne pas verser dans la gentrification, et de pouvoir accueillir des familles. On produit plus de 6000 logements par an sur la Métropole, et la maîtrise des prix, elle se fait par la production élevée. Mais par contre, je pense qu'il faut être extrêmement exigeant sur la qualité. Notre PLH est connu et ambitieux, par contre, il faut être très exigeant sur les enjeux de qualité. On a fait tout un travail sur les cahiers des charges avec la Fédération des Promoteurs Immobiliers afin de développer un coefficient de nature en ville, qui oblige à la parcelle, à consacrer un pourcentage de la surface à la nature. On a travaillé sur la présence de percée visuelles sur les projets en centre-ville. Bref, nous mettons en place une ambition qualitative, qui affirme que l'on construit dans la durée.

Dernière inflexion pour faire la ville autrement, c'est l'écoute de la maîtrise d'usage. On assume qu'on ne met pas tout à la concertation, car le suffrage universel a la fonction de fixer un cap. Par contre, une fois que le cap est fixé, les projets sont toujours plus créatifs quand on croise les regards des professionnels, des élus, et des habitants, et c'est aussi une des choses que l'on a fortement fait monter en puissance.

Arnaud PAILLARD, Chef d’édition de Cadre de Ville

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