Le P-DG de la Scet voit les acteurs publics demander plus d'anticipation et de projection, "au moment où les populations attendent de l'action, plus que des plans d'action"... Stéphane Keïta interviendra le 15 octobre en ouverture des Entretiens du Cadre de Ville, dans une table-ronde sur la nouvelle donne de l'aménagement.
Enarque, Stéphane Keïta est un inspecteur des finances doublé d'un préfet. Atypique, l'homme ne mâche pas ses mots. Passé par les collectivités locales, par les cabinets ministériels, il entre en 2003 à la Caisse des Dépôts pour ne plus la quitter. Après y avoir été directeur régional, il est chargé du Grand Paris et de la Rénovation urbaine à la SNI, membre du directoire, de 2006 à 2012, avant de devenir le directeur de cabinet du directeur général, Jean-Pierre Jouyet, puis directeur du Développement territorial et du Réseau de la grande maison, avant de prendre en main la métamorphose de la Scet, Services Conseil Expertises Territoires, en février 2015.
Les Entretiens du Cadre de Ville se tiennent le 15 octobre sur le thème de "l'adaptation au changement" des acteurs de l'aménagement. Vous même intervenez dans la table-ronde d'ouverture. En quoi est-ce pour vous, aujourd'hui particulièrement, un défi dominant dans cet univers de l'urbain ?
Les sociétés humaines sont à un tournant, et l'adaptation au changement climatique impose des révisions radicales. A défaut de s’y engager, on ne fera que rêver un futur qui ne se réalisera jamais. Les faits sont têtus. Les experts du climat viennent d'alerter sur le risque d'une accélération de la dégradation.
Nous avons sans doute à modifier une posture mentale et intellectuelle dans notre approche du changement climatique et de ses conséquences : ne faut-il pas en finir avec une approche cosmétique, entre ripolinage et version édulcorée du green washing ? C’est une question que je me suis posée dans différentes missions conduites cette année, notamment dans un outre-mer de plus en plus fragilisé, confronté aux tempêtes, aux typhons, aux mouvements démographiques, à la surconsommation des énergies fossiles, à une urbanisation galopante.
Voyez-vous changer les comportements des élus, des porteurs de projets ?
Oui. Pour simplifier, il y a encore une vingtaine d’années, en matière d’aménagements, d’immobilier, d’infrastructures, le primat était le volume et l’esthétique de la réalisation. "Est-ce que c’est grand, est-ce que c’est beau, est-ce que c’est fort, est-ce bien le reflet de ma volonté politique ?"
Depuis une dizaine d’années, et notamment la crise économique de 2008 et celle, accentuée, des finances publiques, le primat était dans l’optimisation de la dépense, et le meilleur rapport coût-efficacité dans la réalisation. Donc, moins démonstratif.
Aujourd’hui, ce qui est de plus en plus attendu, c’est l’évaluation anticipée de l’impact des projets à mettre en œuvre : sur l’organisation de la cité et du territoire, sur l’empreinte écologique, sur la dimension socio-économique, sanitaire… On se projette beaucoup plus dans l’avenir, et on cherche à prendre des dispositions pour extrapoler les externalités et les usages futurs.
Ainsi, deux exemples pris dans notre actualité récente. La Scet vient consécutivement, cet été, de se mettre au service de deux organismes de l’Etat très différents, pour les accompagner dans leur vision stratégique.
Le ministère de la Justice nous a demandé de l’accompagner dans l’évaluation des impacts socio-économiques de sa stratégie patrimoniale. En résumé, si l’administration crée des immeubles, des emplois, des aménités, des infrastructures, tels des établissements pénitentiaires ou des tribunaux, quelles en seront les conséquences sur les territoires concernés ?
L’Ademe, elle, nous a demandé de l’accompagner dans l’évaluation des externalités négatives et positives du tourisme à horizon 2030, afin de confronter tout ce que le tourisme génère comme pollution, empreinte carbone, trafic et, en regard, les emplois, le développement économique, l’ancrage territorial. C’est fondamental comme mise en perspective.
'Au moment où les populations ne veulent plus de plans d’action mais des actions immédiates et concrètes, les acteurs publics entament un nouveau cycle dans la projection et la modélisation de leurs projets, par définition plus abstrait.'
Cette évolution transforme les problématiques politiques, en créant cependant une situation paradoxale : au moment où les populations ne veulent plus de plans d’action mais des actions immédiates et concrètes, les acteurs publics entament un nouveau cycle dans la projection et la modélisation de leurs projets, par définition plus abstrait.
Cette situation paradoxale ne facilite pas la construction d’un consensus, surtout si la décision d’adaptation au changement climatique est amenée à comprendre une part de contraintes, voire de coercition. C’est à prendre en compte.
Néanmoins cette contradiction peut être féconde : elle conduit l’opinion publique à prendre en compte la dimension temporelle des projets, et qu’on ne fait pas les choses en claquant des doigts. Elle oblige aussi les porteurs de projets à mieux intégrer les problématiques et les préoccupations liées aux pratiques et usages concrets consécutifs à la réalisation d’un projet, et à mieux partager le processus de conception et de décision.
Certains objecteront, non sans raison, que ce dont souffre le développement territorial dans notre pays, c’est précisément que les choses ne vont pas assez vite, et que les mécanismes de recours, de contrôle, de concertation, les études d’impact sont des freins, et, en conséquence, que ce n’est pas en rajoutant de l’expertise à l’expertise que l’on va faire émerger des projets. Mais il ne faut pas confondre rapidité et anticipation.
Donc on peut rêver que, dans ce creuset sociétal, on assiste à un plus grand rapprochement entre l’intérêt du politique et l’intérêt général. On a vu cette année combien les maires ont exprimé leur rôle de piliers de la chose publique - c'est le sens du mot République.
La lutte pour un avenir durable, et contre tous les dérèglements qui nous déstabilisent, peut être une bonne occasion de se retrouver sur des objectifs et méthodes communs.
Quel est l’impact de ce changement sur votre métier ?
Dans notre métier, nous sentons très bien cette évolution. On nous demandait essentiellement autrefois un appui opérationnel aux projets, puis on est passé à l’élaboration de projets de territoires plus complexes, pour accompagner des transitions écologiques, numériques, démographiques, économiques, sociales, techniques. Nous avons aidé les collectivités et l’Etat à concevoir de nombreux scénarios du développement territorial.
Une nouvelle dimension du conseil fait irruption : l’évaluation de l’impact non financier des politiques publiques. Certes, dans le conseil jusqu’à présent, il y avait des services d’évaluation de cette nature. Mais nous pratiquions plus l’évaluation a posteriori, ex post, en mode bilan. Nous devons maintenant la développer ex ante.
C’est une compétence que nous ajoutons aux autres, et qui appelle des expertises, une valeur ajoutée, des connaissances, une offre multiple qui, selon moi, profite de notre mise en réseaux : celui des EPL et OLS que nous animons ; celui des filiales ; celui des partenaires territoriaux.
Vous aviez dit au moment de la création de la Banque des territoires, que la mutation d'entreprise de la Scet n'était pas liée à cette création. Vous donniez comme objectif 'd’élever toujours plus le niveau d'expertise', notamment pour répondre 'à des typologies de consultations plus complexes'. Où en est la Scet dans cette mutation ?
La mue est en train de s’achever. La Scet s’est presque complètement moulée dans sa nouvelle dimension de cabinet de conseil, avec les trois volets que j’évoquais tout-à-l’heure, afin d’accompagner des politiques publiques liées à la transition, qu’elle soit écologique, numérique, de la ville intelligente ou territoriale, comme Action Cœur de ville, Petites villes de demain ou Territoires d’industrie…
Dans ce rôle, notre rapport à la Banque des territoires est structuré par notre très forte implication dans tous les grands programmes qu’elle soutient, et la recherche d’une plus grande congruence avec la dynamique d’innovation qu’elle impulse. La Banque des territoires, qui fait battre le cœur du temps long des projets dans les territoires, est aussi précisément porteuse de cette vision anticipatrice que j’évoquais à l’instant, et la Scet doit la seconder dans cette démarche.
'De nouvelles problématiques s’installent, comme l’urbanisme transitoire, l’urbanisme négocié, toutes les nouvelles formes de dialogue aménageur, nées de la complexité technique, sociale et politique du métier aujourd’hui'
La Scet a pris acte de la très forte décélération d’activités traditionnelles liées à l’aménagement, comme les grandes infrastructures routières, ferroviaires, ou les méga-ZAC.
Nous sommes dans une logique où l’aménagement est plus lié à la réparation et au recouturage territorial, qu’à la conquête de nouveaux espaces vierges. Donc de nouvelles problématiques s’installent, comme l’urbanisme transitoire, l’urbanisme négocié, toutes les nouvelles formes de dialogue aménageur, nées de la complexité technique, sociale et politique du métier aujourd’hui.
Cette évolution de la décision politique est-elle seulement liée à des raisons sociétales, ou aussi au fait que les outils, notamment numériques, ont progressé, et qu’on a maintenant les moyens de réfléchir à des niveaux importants de complexité ?
On n’a pas encore basculé. Modéliser le futur, on n’y est pas complètement, mais on va y arriver. La Scet réfléchit beaucoup aux bouleversements induits par la digitalisation, le traitement de données, l’open et le big data, dans un premier temps au stade de la phase diagnostic du conseil.
L’ensemble de la société civile a monté en compétence, a accès à des champs de données plus riches, et est capable de densifier le niveau de réflexion préalable à l’interrogation.
'Il est très probable que la réalité virtuelle interviendra à moyen terme comme un outil de résolution de certaines contradictions, notamment pour anticiper l’impact multiforme des projets et des politiques publiques'
La deuxième phase sur laquelle s’interroge la Scet, c’est le sujet de l’intelligence artificielle, l’IA. Quel apport au conseil ? Va-t-on vers un modèle où un élu pourrait dire à la machine : 'fais-moi ma stratégie urbaine' ?
Notre rôle, comme organisme de conseil, est de bien identifier les segments de valeur ajoutée, sur lesquels on pense qu’il y aura toujours besoin d’un apport humain direct. Le P-DG de Cap Gemini Invent, Cyril Garcia, est venu tenir une fantastique Master class devant nos jeunes managers sur ce sujet en juillet.
C’est pourquoi nous sommes attentifs à l’immersion de nos collaborateurs dans les problématiques de culture générale traitant du développement des sociétés, du développement urbain, de la géographie, du benchmark mondialisé, de tout ce qui concerne les sociétés et les rapports humains, notamment aux plans anthropologique et psychologique. C’est aussi sur ces sujets qu’on peut se différencier.
Mais il est très probable que la réalité virtuelle interviendra à moyen terme comme un outil de résolution de certaines des contradictions évoquées plus avant dans mon propos, notamment pour anticiper l’impact multiforme des projets et des politiques publiques. Déjà on voit les promoteurs faire visionner à leurs clients l’état futur dl’achèvement de leur acquisition, alors pourquoi pas sur des projets d’équipements publics ou d’aménagement ou des sujets plus complexes ? C’est là que le sujet de la nature de la gouvernance de la data prendra encore plus de sens.
Table ronde d'ouverture - Quelle nouvelle donne de l'aménagement sur le terrain ?
La table-ronde plénière des Entretiens du Cadre de Ville, le 15 octobre à la CCI de Paris Ile-de-France, abordera le thème de "La nouvelle donne de l'aménagement de la ville de demain". Entre le bouleversement des métiers de l'urbain, le foisonnement des attentes et des usages des habitants et l'adaptation urgente au changement climatique, les cartes se rebattent à grande vitesse.
Avec de grands acteurs de la production de la ville de demain :
- Ariane Bouleau-Saide, Directrice générale de la SEM PARISEINE
- Alexandra François-Cuxac, Présidente d'AFC PROMOTION et Président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers
- Stéphane Keïta, Président - Directeur général de la SCET
- Benoît Quignon, Directeur général de SNCF IMMOBILIER
Propos recueillis par Rémi CAMBAU, Rédacteur en chef de Cadre de Ville
2024 - L’ACHAT PUBLIC ENTRE AVERTISSEMENTS, PROMESSES ET DEFIS
L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
Lire plusRelocalisons les marchés publics !
La commande publique, qu’elle émane des services de l’Etat ou des collectivités, représente des enjeux économiques considérables et ne peut subir aucune inégalité de traitement.
Lire plusMarché public global de performance à paiement différé : une fausse joie ?
Ce fut la bonne nouvelle du printemps : le marché global de performance, jusque-là bridé par le sacro-saint principe d’interdiction de paiement différé, a enfin vu son régime assoupli sur ce point par la loi 2023-222 du 30 mars dernier. Certes limité aux travaux de rénovation énergétique - un domaine où les besoins sont évidemment immenses -, et pour une période expérimentale de 5 ans, cette possibilité tant attendue par les acteurs tant publics que privés de la construction de pouvoir étaler les paiements des investissements a été perçue comme une véritable bouffée d’air. Pourtant, du fait d’amendements déposés pendant l’étude du texte, la montagne risque d’accoucher d’une souris. C’est bien dommage : le secteur de la construction et de l’aménagement aurait bien mérité de bénéficier d’un outil simple et efficace à une époque où l’environnement tant national qu’international ne lui apporte pas que de bonnes nouvelles.
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