La secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’économie et des finances, Anne Pannier-Runacher, a annoncé la couleur dans une interview au Moniteur en date du 27 décembre 2019 : les axes de la commande publique pour 2020 se déclineront autour du meilleur accès des PME à la commande publique, de l’innovation et du développement des clauses sociales et environnementales.
Pour louables qu’ils soient, de tels objectifs ne doivent pas être l’arbre ou les arbres qui cachent la forêt, et qui masquent ainsi les véritables impératifs sans lesquelles l’achat public ne pourra être qu’un ersatz de l’instrument de stratégie de politique économique voulue par nos décideurs publics.
L’objectif de mieux faire accéder les PME-TPE à la commande publique est plutôt récurrent dans les règlementations élaborées ces dernières années. Certaines mesures adoptées sont pourtant allées dans le sens contraire de leur destination première. Il en est ainsi de la fameuse dématérialisation, mais aussi du non moins fameux DUME qui lui est intrinsèquement attaché : plutôt que d’être vécus comme des instruments de simplification, de transparence et de modernisation, ils ont été ressentis par bon nombre d‘entreprises comme de nouvelles contraintes les empêchant de candidater aux marchés publics, ce qui est pour le moins paradoxal. Du coup, pour paraphraser le titre du-bienvenu-guide pratique récemment élaboré par la médiation des entreprises, les TPE-PME continuent, pour certaines d’entre elles en tout cas, de ne pas oser la commande publique, ce qui entraine dans certaines régions et certaines activités de problématiques situations d’infructuosité.
A côté de cela, les premiers retours d’expérience montrent que, même si cela reste encore limité, le décret dit de Noël du 24 décembre 2018 permettant de souscrire des marchés innovants sans mis en concurrence en dessous de 100.000 euros commence à porter ses fruits. Sachant qu’il est clairement orienté vers les stars up locales, il est un des instruments de ce « localisme » dont personne n’ose parler mais qui est pourtant bien présent dans la tête de bon nombre d’acheteurs publics des collectivités territoriales. Et il ne faut certainement pas faire trop la fine bouche sur le décret du 12 décembre 2019 qui, au-delà du rehaussement du montant des avances, permet depuis le premier janvier aux acheteurs publics d’éviter les procédures de publicité et de mise en concurrence jusqu’à un seuil de 40.000 euros; un tel assouplissement étant assorti des traditionnelles règles prudentielles comme celle relative aux demandes de devis, en fonction du contexte de l’achat et de l’environnement concurrentiel, et de la recommandation de ne pas systématiquement travailler avec le ou les mêmes prestataires. Au-delà de ces comportements de bon sens, c’est la caractéristique d’efficacité économique de l’achat public qui transparaît dans cette mesure, l’efficacité étant un objectif affiché de l’achat public avec celui, pas forcément antinomique, de bonne gestion des deniers publics.
Toujours en se plaçant sur ce terrain de l’accès des PME-TPE à la commande publique, toutes les mesures allant dans le sens de la simplification des procédures n’auront vraiment d’impact que si un problème de fond est résolu : celui du non-respect des délais de paiement. Même si les statistiques de l’observatoire éponyme montrent une amélioration à la fois progressive et globale, il existe encore de trop nombreux cas de dérapages, dérapages quelquefois fatidiques puisque plusieurs PME disparaissent chaque mois, voire chaque semaine, victime du défaut de paiement des collectivités publiques. Tant qu’une véritable amélioration ne sera pas tangible en termes de respect des délais, et tant que la perception des intérêts moratoires restera le plus souvent fictive, toute augmentation des seuils de non mise en concurrence ou du montant minimum des avances ne sera qu’un coup d’épée dans l’océan des difficultés financières rencontrées par les opérateurs économiques travaillant dans le domaine de la commande publique.
Sans doute faudrait-il aussi offrir aux PME-TPE, et plus largement aux opérateurs économiques, des voies contentieuses plus efficaces. On sait en effet que, notamment du fait de la jurisprudence du Conseil d’Etat relative à l’intérêt lésé, les chances de succès de ces opérateurs en référé pré-contractuel mais aussi contractuel sont limitées, encore plus en MAPA où le délai de stand still est inapplicable ; et qu’il en est de même en procédures de fond, d’autant plus pénalisées par la relative longueur des délais de jugement que les possibilités de suspension d’exécution des contrats sont là aussi plutôt fermées. Bien sûr, si on se place du côté des acheteurs, il s’agit de protéger et sécuriser leurs décisions et leurs accords contractuels. Il en est évidemment autrement si on se place du côté des candidats évincés des procédures, qui pourraient légitimement mettre en avant le manque d’effectivité des recours contentieux devant les juridictions administratives.
On ne cesse de l’écrire et de le répéter, le véritable défi de l’achat public est de se professionnaliser, ce qui se traduit tant en termes d’organisation que d’acquisition des compétences via des formations initiales et continues adaptées. Pour reprendre l’intervention précitée de Mme Pannier-Runacher, il est effectivement temps que l’achat public soit stratégique ; et heureusement que bon nombre d’acheteurs publics- la DAE pour les achats de l’Etat pour n’en citer qu’un parmi tant d’autres, tant dans les secteurs national, local qu’hospitalier- ont conscience d’un tel impératif et se sont organisés en conséquence. Sourcing à la fois neutre et efficace, définition des besoins précise et réaliste, rédaction de cahiers des charges et de règlements de consultation adaptés, suivi rigoureux de l’exécution juridique et financière des contrats ne serait-ce que pour vérifier la bonne application des clauses ou conditions d’exécution environnementales et sociales...les champs de compétences attendus sont connus, auxquels il faut ajouter la gestion mais surtout la prévention des conflits d’intérêts, sujet de en plus en plus sensible et donnant lieu à une jurisprudence qui ne cesse de s’enrichir avec le temps.
Vu sous cet angle, l’amélioration de la pratique de l’achat public et celle de ses acteurs apparait primordiale au regard de l’adoption de nouveaux textes visant à instrumentaliser- à nouveau dans des objectifs louables de politique publique- la commande publique. On en serait presque à espérer une pause dans l’adoption de ces textes, afin que le monde de l’achat public puisse se concentrer sur ses cibles à atteindre dans un moyen voire un court terme.
Tel pourrait être le ou les vœux que l’on souhaite aux acheteurs publics mais aussi à leurs prestataires pour cette année 2020.
Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
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