L’exécution des marchés publics de travaux est le théâtre de contentieux de plus en plus nombreux entre les différents intervenants, maîtres d’ouvrage, constructeurs, maîtres d’œuvre, sous-traitants, AMO… Il s’agit en tout cas d’un contentieux bien plus fourni que celui de la passation, alors que c’est plutôt ce dernier qui le plus souvent est mis en lumière.
Dans ce contexte, la responsabilité du maître d’œuvre semble être davantage recherchée avec le temps, notamment dans son devoir de conseil auprès du maître d’ouvrage, ainsi que cela est confirmé par plusieurs jurisprudences récentes.
La jurisprudence a longtemps admis que la responsabilité du maître d’ouvrage devait être avant tout recherchée, à charge pour lui d’appeler en garantie les constructeurs, en cas de difficultés rencontrées dans l’exécution des travaux et notamment en présence d’un allongement anormal du chantier supporté par son cocontractant. On sait que, depuis un arrêt du 5 juin 2013, Région Haute Normandie, la charge de la preuve s’est renversée : il appartient dorénavant, pour engager la responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage, que le titulaire du marché prouve, outre le cas de la présence de sujétions techniques imprévues, que les difficultés rencontrées sont imputables à une faute du maître d’ouvrage dans l’estimation de ses besoins, dans la conception et la mise en œuvre du marché ou encore dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction.
A côté de cela, la responsabilité contractuelle du maître d’œuvre dans la conception de l’ouvrage ou la direction technique des travaux est de plus en plus recherchée. Le juge a même reconnu que, si cette responsabilité contractuelle ne peut plus être engagée, une part de responsabilité peut toutefois être imputable au maître d’œuvre s’il se révèle avoir été défaillant dans sa mission de conseil du maitre de l’ouvrage, en l’espèce lors de la réception des travaux (CAA Nantes, 19 mai 2015, Commune d’Ouilly-le-Vicomte).
Le conseil d’Etat a récemment réaffirmé cette possibilité de rechercher la responsabilité du maître d’œuvre pour manquement à son devoir de conseil.
En cas de différends, notamment relatifs au décompte général et définitif, avec l’entrepreneur titulaire du marché, le maître d’ouvrage n’hésite plus à appeler en garantie le maître d’œuvre ou le groupement de maîtrise d’œuvre choisi sur l’opération. Dans un arrêt du 13 novembre 2019 (société Denu et Paranon architecte et société Marc la rivière architecte), le Conseil d’Etat a rappelé que les circonstances que le décompte général soit devenu définitif ne font pas obstacle à la recevabilité de conclusions d’appel en garantie du maître d’ouvrage contre le titulaire du marché de maîtrise d’œuvre, sauf s’il est établi que ledit maître d’ouvrage avait connaissance du litige avant qu’il n’établisse de DGD et qu’il ne l’a pas assortie d’une réserve, même non chiffrée. Un tel appel en garantie est possible dans le cadre d’un contentieux provoqué par un concurrent évincé à une procédure de marché « sauf s’il était établi que le maître d’ouvrage avait eu connaissance d’un litige avant qu’il n’établisse le décompte général du marché et qu’il n’a pas assorti le décompte d’une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige ». (CE 27 janvier 2020, Sté Atelier d’architecture Bégué périchon Gerard et associés).
Il en est de même sur l’engagement de la responsabilité des maîtres d’œuvre alors que des désordres intervenus suite à la réalisation des travaux n’ont pas été mentionnés dans le procès-verbal de réception des travaux : la responsabilité des maîtres d’œuvre pour manquement à leur devoir de conseil est ainsi engagée dès lors qu’ils se sont abstenus d’appeler l’attention du maître d’ouvrage sur les désordres affectant ces derniers et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que le maître d’ouvrage se soit mis à même de ne pas réceptionner ledit ouvrage ou d’assortir la réception de réserves (CE 8 janvier 2020 Bordeaux métropole ; arrêt du même jour, CA du Grand Angoulême)
On notera donc ici la nécessité d’une grande diligence pendant l’exécution des travaux objet des marchés, de la part des maîtres d’ouvrage mais aussi – et surtout ?- des maîtres d’œuvre. Il appartient ainsi aux maîtres d’ouvrage d’être très prudents pendant les opérations de réception et la rédaction du décompte général, s’agissant tout particulièrement des réserves à mentionner le cas échéant. Quant aux maîtres d’œuvre, on voit ici toute l’importance de leur mission de suivi de l’exécution des travaux, mission pendant laquelle ils doivent être particulièrement rigoureux afin d’attirer l’attention en temps et en heure des maîtres d’ouvrage sur les désordres dont ils ont connaissance. Bien-sûr, encore faut-il prouver en cas de litige qu’ils ont vraiment eu connaissance des désordres en cause ce qui, au-delà de la question de l’importance et de la visibilité de ces derniers, revient à s’interroger sur la compétence et l’organisation des maîtres d’œuvre en cause, et donc à nouveau sur leur diligence dans l’exercice de leurs fonctions et missions.
Cette approche des choses en termes de rôle et de responsabilité est bien-sûre différente dans les marchés globaux où la conception est intimement mêlée à la réalisation. Dans un marché global de performance, ainsi, et même si l’équipe de maîtrise d’œuvre avec des éléments de mission de base doit être obligatoirement identifiée, le devoir de conseil du maître d’œuvre auprès du maître d’ouvrage disparaît mécaniquement, notamment pendant les opérations de réception.
Il appartient ainsi au maître d’ouvrage de s’entourer différemment, par des AMO techniques par exemple, afin de suppléer ce vide et cette carence d’intervention et de soutien des maîtres d’œuvre.
Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé
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