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Le 22/04/2020 à 11h

Achat public et Covid 19 - Episode 3 : le jour d'après

A un moment donné, et même si notre mode de vie et notre façon de travailler en seront sans doute durablement impactés, il faudra bien que l’on sorte de notre période de confinement et que l’activité économique puisse reprendre progressivement.

Quel pourra être le rôle de la commande publique dans ce redémarrage ? Pourra t-elle vraiment tenir le bien délicat mais tant attendu rôle de levier de l’intervention publique, levier qui permettrait d’abonder les opérateurs économiques en deniers publics tout en leur permettant d’exercer leur métier et de faire travailler leurs salariés ?

Achat public et Covid 19 - Episode 3 : le jour d'après

Rien n’est hélas moins sûr, d’autant que s’esquissent des évolutions de politiques économiques nationales qui font même réfléchir à l’avenir de la commande publique telle que nous la connaissons. Paradoxalement, cela serait pourtant le moment de renforcer encore l’Europe de la commande publique.

Vous avez dit instrumentalisation ?

On sait que, du fait de son poids économique - plus de 10% du PIB en moyenne de chaque Etat de l’Union Européenne-, la commande publique fait l’objet d’une instrumentalisation récurrente de la part de nos décideurs publics, afin d’en faire un outil tantôt de soutien aux PME-TPE, tantôt à la protection de l’environnement et au développement durable, tantôt à l’innovation et par là même aux start up locales...mais cette fois la tache est lourde et l’enjeu de taille: la commande publique va être un instrument - sinon l’instrument - de la relance économique attendue après les effets désastreux de la crise sanitaire que nous sommes en train de vivre...un peu comme lors de la crise des subprimes que nous avons subi en 2008 (rehaussement du seuil de non mise en concurrence, assouplissement du régime des PPP...), mais avec des effets attendus bien plus puissants.

Le problème est de savoir si elle en sera capable et si on ne fait pas peser un poids trop grand sur les acheteurs publics.

Car une relance efficace via la commande publique passe par plusieurs ingrédients. Celui de la compétence et de l’organisation des acheteurs tout d’abord, dont l’efficience doit se manifester à tous les stades, de la définition du besoin à la procédure de passation en passant par une phase encore trop souvent négligée, celle du suivi de l’exécution du contrat. Même si l’achat public tend à se professionnaliser, les collectivités publiques et para publiques prenant petit à petit conscience de l’importance d’un domaine encore trop négligé jusqu’il y a peu, ce n’est pas leur faire injure de reconnaître qu’un tel professionnalisme n’est pas encore suffisamment répandu pour que l’ensemble des acheteurs soient à même de répondre présents aux immenses défis qui vont se dresser devant eux.

L’autre ingrédient indispensable est celui de l’outil en tant que tel, et donc des règles et principes applicables à la passation et l’exécution des contrats de la commande publique. On a coutume de dire à juste titre que les textes dont ils relèvent, et plus particulièrement le code de la commande publique, sont suffisamment riches pour leur offrir les solutions dont ils ont besoin. Mais ne pourrait on pas aller plus loin et laisser encore davantage de liberté aux acheteurs- dans la droite ligne de leur professionnalisation susvisée? A y regarder de près, c’est ce qu’a fait l’ordonnance 2020-306 du 25 mars dernier, commentée dans ces colonnes, qui oriente davantage les acheteurs dans des solutions de souplesse qu’elle ne leur impose de nouvelles contraintes. Il en est de même de la communication de la commission européenne du 1er avril dernier, qui, tout en restreignant le champ des allègements de procédures aux achats dans le secteur de la santé, exhorte les pouvoirs adjudicateurs à se rapprocher des opérateurs économiques afin de rechercher ensemble des solutions alternatives et innovantes pour répondre aux besoins urgents issus de la crise sanitaire. Il s’agit toutefois de conseils et d’ouvertures par nature exceptionnels, propres à une période elle même exceptionnelle. Les acheteurs ne doivent sans doute pas espérer à leur pérennisation une fois la période de crise passée. Et, à nouveau, toute éventuelle nouvelle libéralisation des règles, même contenue et circonstanciée, ne pourra que s’accompagner d’une responsabilisation des acteurs tant publics que privés concernés.

Le troisième ingrédient pour des achats efficients - qui aurait pu être le premier - est évidemment celui des moyens financiers. Il serait en effet chimérique de compter sur une relance via un fort soutien de la commande publique si les acheteurs et donc les structures dont ils dépendent ne disposent pas des budgets suffisants pour garantir une telle commande. Or, ainsi que cela commence à être avancé de manière de plus en plus alarmiste par les associations d’élus locaux, on va entrer dans un cercle vicieux : la fiscalité locale perçue sur les entreprises va mécaniquement diminuer sur les mois voire les années à venir, et, malgré toute sa bonne volonté et les effets d’annonce dont il nous alimente régulièrement, l’Etat ne pourra certainement pas venir compenser sur un long et même moyen terme de telles pertes fiscales. Et c’est là que le chat se mord la queue: les entreprises vont avoir besoin- même extrêmement besoin dans certaines zones géographiques- de commande publique pour espérer ne serait ce que sauver une partie du tissu économique...mais faute de recettes fiscales suffisantes, les collectivités publiques ne pourront évidemment pas répondre à un tel besoin, en tout cas à tous les besoins qui se présenteront à elles. Quadrature du cercle? Mais alors quelle peut être la solution si solution il y a, sachant que l’on peut rajouter un élément aux effets redoutables, celui du respect des délais de paiement auprès d’entreprises dont la survie quasi-immédiate passe par le soutien urgent de leur trésorerie...

Changement de modèle ou sursaut européen ?

Sans entrer dans tous les débats qui voient le jour en ce moment- sans nul doute propice cela étant dit-, il semblerait que la France comme d’autres pays d’Europe et du monde souhaite à l’avenir relocaliser sur son territoire des outils de production jusque la dispatchés ailleurs, cette dispersion ayant apparemment provoqué les carences que l’on a pu connaitre concernant certains produits et équipements médicaux dont on a pu cruellement manqué ces derniers temps. L’idée est on ne peut plus séduisante, même si elle ressort l’ancestral concept de l’autonomie et de l’indépendance du Général de Gaulle qui a été plus que relativement balayée par l’évolution de l’histoire et de la montée régulière de la mondialisation qui a suivi- mais elle n’est évidemment pas sans soulever de légitimes questionnements. Contentons nous de la - petite ou grande?- fenêtre de l’achat public. Quel impact sur les prix, et donc ceux des marchés publics, de productions relocalisées dont la délocalisation avait justement pour but d’obtenir des baisses de coût - d'abord salariaux - et donc de prix? Quel impact sur l’achat local, qui va mécaniquement se développer...au détriment de l’égalité de traitement et de liberté à l’accès à la commande publique? Et d’ailleurs peut on parier sur l’avenir de Europe des marchés publics? La question est certes provocatrice mais on peut parier sur de forts débats au sein des instances européennes et de non moins fortes pressions de la part des Etats membres pour que les directives marchés publics et concessions soient assouplies et tiennent compte d’un inéluctable repli de chacun sur soi-même, si tant est à nouveau que cela soit réaliste et économiquement possible. On ne peut cependant imaginer une trop grande remise en cause desdites directives et de leurs règles et principes fondamentaux, ce qui reviendrait à atteindre les traités dans leur chair, de même d’ailleurs que la jurisprudence fondatrice de la CJUE- pensons notamment au fameux arrêt du 7 décembre 2000 Telaustria, à l’obligation de transparence qu’il pose permettant aux pouvoirs adjudicateurs de respecter le principe de non discrimination en leur imposant de garantir en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat...

Quadrature du cercle à nouveau? Et si on profitait plutôt de ce moment pour renforcer l’Europe de la commande publique, afin d’en faire une arme de solidarité économique au lieu de se replier sur un localisme national qui n’aurait que peu de sens au regard de la concurrence mondiale qui, n’en doutons pas, ne vas cesser de se renforcer dans les temps à venir? La commande publique, et donc les règles et principes qui en sont le socle, doit être le moteur de cette solidarité et permettre d’éviter que nos frontières se ferment et que l’Union européenne ne devienne le terreau de la désunion.

Tel est bien le pari, voire le vœu que l’on peut formuler à ce stade de la crise et des réflexions qui peuvent en être issues : que la commande publique et ses acteurs soient le fer de lance de la relance et du soutien aux entreprises non seulement au niveau national mais aussi et surtout européen.

Espérons simplement qu’il ne s’agisse pas que d’un vœu pieux...

Jean-Marc PEYRICAL
Avocat Associé, Cabinet Peyrical & Sabattier Associés
Président de l'APASP, Association Pour l'Achat dans les Services Publics

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