Le maire-entrepreneur venu du monde de l'internet ressuscite le textile avec la relocalisation de Phildar ou la reprise de Camaïeu par la Foncière immobilière de Bordeaux. Il entraîne le renouvellement urbain avec des "lieux totems économiques" dans tous les quartiers. Guillaume Delbar était interrogé ce mardi matin 8 juin dans le cadre du "Tour des Villes" que mène le Club Ville de Demain en 2021.
Dans la conurbation Lille-Roubaix-Tourcoing, avec cette méthode ouverte, la ville du milieu accélère son renouvellement urbain avec l'Anru, avec un projet partenarial d'aménagement (un PPA), et structurer son territoire en reprenant l'aménagement des rives du canal qui la traverse. En liant développement urbain, social, et économique, dans ses points forts du digital, du circulaire et de l'économique.
"Il est important que les projets de rénovation urbaine génèrent de l'emploi local", affirme Guillaume Delbar, maire de Roubaix réélu en 2020 après un premier mandat, dans l'heure qu'il a passée à dresser le tableau de ses projets et de ses convictions, ce 8 juin 2021. C'est pourquoi il souhaite que cette rénovation soit pensée sur le mode circulaire, en faisant appel au réemploi, et aux boucles d'économie circulaire, pour générer de l'activité dans de nouvelles chaînes de valeur. C'est pour lui "un élément majeur pour réussir le retournement de la ville". "Après un programme de l'Anru limité à un seul quartier, on a besoin de travailler sur plusieurs quartiers, avec une nouvelle approche." L'effort public programme 600 millions en tout, dont 370 pour le nouveau programme Anru 2.
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Mais le renouvellement urbain est au cœur du projet global défendu pour sa ville par le maire. Sa méthode ouverte d'appel à toutes les dynamiques atterrit géographiquement dans les projets urbains. Idée de fond : les projets économiques structurants balisent la carte des territoires de projets à l'échelle des quartiers : autour du cyclisme un parc des sports d'une trentaine d'hectares restera un lieu dédié aux pratiques sportives, mais aussi de développement économique avec hôtel, restaurant, un musée et une dizaine d'emplois. "L'idée est que chaque quartier ait un pôle, un moteur économique", commente Guillaume Delbar, pour qui "la saison 1 de l'Anru avait un peu oublié l'économie.
Les projets de renouvellement urbain sont partout dans une ville qui défend la réutilisation des bâtiments - quatre projets Anru mobilisent 600 millions d'euros sur 8 ans
A l'ouest, le quartier de l'Epeule, très dense sera "sensiblement" verdi et aéré, dit le maire. On y trouve l'expérimentation d'une maison de l'économie circulaire et du zéro déchets avec rénovation frugale de bâtiments, dans l'ancien couvent des Clarisses, un lieu démonstrateur confié pour une expérience d'occupation provisoire depuis deux ans à peine, à Yes We Camp avec un collectif de jeunes architectes roubaisiens. "Nous y expérimentons la capacité à rénover un bâtiment historique", explique Guillaume Delbar. On trouve à côté tout un écosystème textile qui remplit l'usine Roussel réutilisée, lieu-totem du quartier sur le thème "Mode In Roubaix".
L'ancienne usine Roussel a vu s'installer un atelier créé au moment où les masques manquaient, qui a employé jusqu'à 200 personnes grâce à une commande publique, clin d'oeil à l'histoire textile. Il s'est pérennisé en diversifiant ses productions - notamment pour Décathlon - et notamment en recyclant des invendus. Quelque 130 personnes travaillent encore dans cet atelier, basé dans l'ancienne usine où Phildar vient de se relocaliser, à côté de Fashion Green Hub, avec ses solutions techniques pour développer la production textile à la demande, et d'une école de production. Ils vont être rejoints par des "maisons de mode" de jeunes créateurs qui viennent de Lille. "C'est un facteur de redynamisation et de fierté aussi,relève le maire, avec d'anciennes ouvrières du textile qui ont été les premières à proposer leurs services pour fabriquer ces masques". Le maire cite "des histoires humaines", comme cette femme qui avait vu sa machine à coudre vendue aux enchères devant elle. Guillaume Delbar veut y voir le signe de la capacité à relocaliser, et à produire made in France. "La crise est une opportunité d'accélérer ces tendances".
Autre "recyclage", le développement d'un parc-promenade sur les rives du canal, délaissé en perdant sa vocation industrielle. Lieu de reconquête dès cet été avec des animations et des guinguettes, il structurera une série de projets. Un autre couvent sera repris lui aussi pour "créer de nouvelles dynamiques locales". Roubaix est en train de renaître économiquement, sur les trois axes du textile (historique), du numérique et de l'économie circulaire. Et cette réanimation économique recroise les projets d'aménagement et de transformation urbaine.
La métropole lilloise est multipolaire : Lille compte plus de 200 000 habitants, quand Roubaix et Tourcoing flirtent chacune avec les 100 000. Auchan est né ici (au lieu-dit les Hauts-Champs), La Redoute, Damart et Camaïeu aussi, et l'économie revient. "Nous sortons de l'image de ville la plus pauvre de France", se félicite le maire, qui ne veut pas pour autant cacher les difficultés, mais qui refuse "toute posture victimaire". "Un de mes prédécesseurs disait que Roubaix c'est à la fois le Bronx et la 5e Avenue, et c'est vrai qu'on peut faire autant un portrait qui fait peur, que parler des initiatives nouvelles."
Que le mandat municipal 2014-2020 ait marqué une forme de renaissance économique de Roubaix est incontestable. La Fédération des EPL s'en est fait l'écho à l'automne en saluant le travail de la SEM Ville Renouvelée dans le développement d'un pôle image sur le site historique de l'Union (lire sur Cadre de Ville). Mais l'on sait aussi que l'un des leaders mondiaux des serveurs informatiques OVH, est né ici, tout comme l'éditeur de jeux vidéos Ankama.
Lors du précédent mandat, Roubaix a remporté contre Barcelone la mise en concurrence pour l'implantation de la société Showroom Privé, leader de la distribution et du retail, dont tous les studios de production sont ici, dans une ancienne usine, Il a été rejoint récemment par la société de dépôt-vente de luxe Vestiaire Collective, qui s'est implanté sur le site emblématique de l'Union... Les deux entreprises appartiennent au secteur textile et dans sa version numérique - avec une dose d'économie circulaire. L'effet boule de neige semble bien lancé.
Le maire revient sur le coeur de sa conviction : 'La dynamique économique est centrale, élément majeur de réussite d'une ville, avec l'implication de ses acteurs dans les dynamiques locales'. Et, en effet, le patron d'Ankama, en pleine crise sanitaire, vient de faire un don aux personnels hospitaliers de la ville, sous forme de bons d'achat dans les commerces locaux, dans une optique de circuit court, et de l'économie circulaire. 'Dans le même esprit, ma Ville a créé une fonction de 'mineur urbain', qui consiste à aller chercher des gisements de valeurs et de matière dans les entreprises, pour créer des boucles économiques de réemploi', ajoute Guillaume Delbar.
Outre les créations nouvelles et les relocalisations, Guillaume Delbar salue ce qu'il appelle 'la capacité de résilience des acteurs locaux' : 'La Redoute, au bord du gouffre en 2014, est repartie de plus belle et embauche' - après que la Ville a repris son immobilier pour y créer un incubateur de start-up, montage qui a redonné de l'air à l'entreprise. Camaïeu, au plus mal voici un an, est reprise par la Foncière Immobilière de Bordeaux, de Michel Ohayon.
Le maire se dit conscient de "l'ampleur de sa tâche", Mais, pour lui, l'attractivité n'est pas une fin en soi, elle découle de politiques réussies. "Les difficultés ne sont pas pour moi des handicaps, ce sont des nécessités qui s'imposent, et qui obligent à innover et à changer les méthodes." Après un premier mandat, il estime avoir relancé sa ville, et permis qu'elle reprenne en main son destin. "On parle de centre-ville et d'animation", note-t-il. Et c'est pour lui "une petite victoire".
Parmi les modèles nouveaux qu'il revendique, dans une commune où le chômage est une plaie, c'est l'insertion par le sport et par la formation. "Roubaix, c'est 40 000 emplois", pointe-t-il, mais ils ne s'adressent pas tous aux Roubaisiens - "c'est pourquoi nous avons lancé un gros travail de formation notamment autour du digital. Et, dans cet objectif, nous ne réussirons pas seuls." La mairie met en place avec les entreprises du numérique et du textile des parcours de "formations courtes" de trois ou six mois, pour insérer - ou réinsérer - sur le marché du travail des jeunes et moins jeunes sans emploi.
S'ajoute une dynamique étudiante, avec plus de 10 000 étudiants : l'Edhec a rejoint Roubaix, et l'Ecole nationale supérieure des arts et industries textiles (Ensait). Roubaix Campus annonce 23 écoles et 18 résidences étudiantes, avec un pôle créé autour de la gare, non loin du quartier historique de l'Alma.
"Nous nous reconnaissons dans le travail fait autour de la chaire "villes intelligentes" par Carlos Moreno. Nous avons décidé de nous placer, dans la logique "zéro déchets" dont nous sommes initiateurs en France, sur la notion de ville circulaire. La manière de construire la ville, pendant un moment, des décennies peut-être, consistera à réutiliser l'existant. Pour faire la ville nouvelle on a longtemps choisi de détruire la ville ancienne, A l'opposé, nous proposons des exemples éloquents, dont le plus connu est le musée de la piscine, dans une ancienne piscine Art Déco."
Le maire veut "assumer l'héritage, assumer l'histoire" de sa ville, tout en retrouvant "l'esprit pionnier", une capacité d'entreprendre qui la caractérise. La démarche donne un cocktail étonnant de tradition et de modernité. Ou plutôt de modernité bâtie sur la tradition, et pas seulement celle des bâtiments hérités, mais aussi celle, immatérielle, de la culture des femmes et des hommes. La phase 2 du projet Roubaix s'enclenche.
Rémi Cambau, Rédacteur en chef de Cadre de Ville
Un tour des villes en 2021 organisé par le CEPS et le Club Ville de Demain
Après Roubaix, Biarritz, Bourges, Cannes et Clermont-Ferrand, le Tour des Villes va s'arrêter à Nevers en juillet.
Le CEPS et son club Ville de Demain, présidé par Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine ont pris l’initiative de créer le Tour des Villes, en coopération avec le Fonds Indarra et en association avec Cadre de Ville. Le projet a pour vocation de permettre à des maires de villes moyennes d’exprimer leur point de vue, leurs attentes et leurs priorités afin de réfléchir aux solutions d’avenir des territoires français. Dans cette optique, le CEPS organise, chaque mois pendant un an, une session débat auprès d’un maire.
En fin de cycle sera rédigé, suite à ces rencontres, un rapport final qui prendra la forme d’une plateforme de propositions d’attractivité urbaine (les atouts à développer), et de recommandations territoriales (les moyens à mettre en œuvre).
2024 - L’ACHAT PUBLIC ENTRE AVERTISSEMENTS, PROMESSES ET DEFIS
L’année 2024 est très certainement prometteur pour l’achat public. Grace à des formations initiales et continues qui ne cessent de se développer, la professionnalisation des acheteurs est réellement en marche. Ayant pris pleinement conscience de son impact économique et par la même social - l’achat public de travaux fournitures et services représentant en moyenne 20% de leur budget- de plus en plus de structures publiques et para publiques ont mis en place de véritables services dédiés à ce qu’il convient de considérer comme un puissant levier des politiques publiques. Gageons que cette année verra se prolonger des réflexions et débats déjà entamés sur l’impact de l’intelligence artificielle sur l’achat public, la cybercriminalité et la protection des données personnelles dans l’acte d’achat, l’extension de la location au détriment de l’achat proprement dit, l’instrumentalisation des ces quelques dizaines de milliards d’euros annuels au service de différentes politiques dont la souveraineté nationale et -ce n’est à priori pas antinomique- la protection de la planète…
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Ce fut la bonne nouvelle du printemps : le marché global de performance, jusque-là bridé par le sacro-saint principe d’interdiction de paiement différé, a enfin vu son régime assoupli sur ce point par la loi 2023-222 du 30 mars dernier. Certes limité aux travaux de rénovation énergétique - un domaine où les besoins sont évidemment immenses -, et pour une période expérimentale de 5 ans, cette possibilité tant attendue par les acteurs tant publics que privés de la construction de pouvoir étaler les paiements des investissements a été perçue comme une véritable bouffée d’air. Pourtant, du fait d’amendements déposés pendant l’étude du texte, la montagne risque d’accoucher d’une souris. C’est bien dommage : le secteur de la construction et de l’aménagement aurait bien mérité de bénéficier d’un outil simple et efficace à une époque où l’environnement tant national qu’international ne lui apporte pas que de bonnes nouvelles.
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