Dark stores, intermodalité, explosion du e-commerce : Emmanuel Grégoire et David Belliard ont présenté les six piliers de la stratégie logistique de la Ville de Paris pour la suite du mandat, alors que les modes de consommation ont fortement évolué depuis la charte logistique de 2013 et depuis la modification du PLU en 2016. De l'encadrement du foncier logistique à la réduction des déchets issus du secteur de la construction, les mesures à prendre doivent à la fois garantir une bonne insertion urbaine des flux et des espaces concernées et s'inscrire dans la transition écologique, tout en tenant compte, autant que possible, des enjeux sociétaux sur lesquels la Ville de Paris dispose de moins de levier.
Alors que la Métropole du Grand Paris continue de renforcer son rôle et son action en matière de logistique urbaine, la Ville de Paris a présenté, ce jeudi 16 juin, sa propre stratégie pour la suite du mandat en cours, jusqu'en 2026. Une stratégie qui s'inscrit notamment dans la continuité de la charte logistique de 2013, qui devait répondre au triple objectif d'assurer l'approvisionnement des marchandises nécessaires à la vie de la capitale, de diminuer les nuisances - tant atmosphériques que sonores - et de résorber la congestion. La charte a impulsé plusieurs travaux et interventions, comme l'élaboration, par l'Apur, d'un document d'orientations stratégiques qui a abouti dans l'introduction des "Périmètres de localisation logistiques" dans le PLU via la modification de 2016.
Depuis la charte de 2013, la logistique urbaine a profondément évolué à travers le monde, avec l'explosion du e-commerce et des livraisons à domicile que la crise sanitaire a accéléré. C'est dans ce contexte que la Ville de Paris présente sa stratégie actualisée, après environ un an de réflexions et de concertations pilotées, au sein de l'exécutif, par David Belliard (adjoint à la maire de Paris en charge de la transformation de l’espace public, des transports, des mobilités, du code de la rue et de la voirie)
Compléter le maillage d'espaces logistiques à travers la capitale
David Belliard et Emmanuel Grégoire ont ainsi présenté une stratégie qui répond aux enjeux de l'insertion urbaine des flux et des espaces logistiques, aux impératifs de la transition écologique ainsi qu'aux enjeux sociétaux qui accompagnent les évolutions des modes de consommations. Cette stratégie repose sur six piliers.
Les mesures toucheront d'abord au foncier et à l'immobilier logistique - un point sur lequel la Ville de Paris dispose de leviers normatifs évidents, à commencer par son PLU bioclimatique. Il s'agira là de renforcer le maillage des espaces de logistique, dans une logique du dernier kilomètre, qui respecte les objectifs de décarbonation ainsi que de réduction des nuisances sonores. Par ailleurs, la multimodalité est un enjeu clef pour les élus parisiens, qui rappellent et regrettent que 90% du fret est transporté par la route à l'échelle nationale, alors que ce taux n’atteignait que 30% en 1950. Il faudra donc développer des espaces multimodaux où la route prend le relais sur le transport ferroviaire ou fluvial.
La logistique multimodale à la porte de la Villette
Parmi ces grands espaces multimodaux, l'hôtel logistique de la Sogaris au sein du projet Chapelle International dans le XVIIIe arrondissement, fait figure d'exemple à suivre.
Développé sur 45 000 m², ce premier hôtel logistique embranché fer dans Paris est également l'une des avancées issues de la charte de 2013. Pour les années à venir, le prochain site multimodal à émerger devrait être celui de "Quai Bercy", de 17 000 m², porté par la Sogaris avec Poste Immo et Icade et qui est développé dans le cadre de l'opération Bercy-Charenton : là, le rail et la route pourraient s'articuler à une logistique fluviale. Enfin, un autre projet rail-route, entre les voies ferrées de la gare de l'Est et le périphérique, pourrait voir le jour dans le cadre de la mutation de la porte de la Villette.
Au-delà du foncier bâti, l'optimisation du partage de l'espace public constitue un deuxième pilier de la stratégie parisienne. Pour favoriser l'efficacité des flux, 1 000 nouvelles zones de livraison seront créées (il en existe aujourd'hui un peu plus de 9 600) alors que les contrôles seront renforcés pour assurer le respect de la destination de ces places. De plus, la cyclologistique sera favorisée par la création de 1 000 places de stationnement pour vélos-cargos.
D'autres actions à venir incluent l'extension de l'éligibilité à la carte PRO Mobile (qui offre un accès à coût nul ou réduit aux emplacements de stationnements aériens payants) aux professionnels de la grande couronne ou encore la mise en place de livraisons à horaires décalés sous condition de respecter des exigences visant à limiter les nuisances sonores.
Le secteur du BTP constitue une des priorités
Un troisième axe d'intervention est l'enjeu transversal de la transition écologique du transport de marchandises dans son ensemble. Cet axe englobe les aides aux professionnels et le développement d'infrastructures comme les pistes cyclables (d'une largeur d'au moins 2,5m pour être adaptées aux vélos-cargos et favoriser la cyclologistique), les stations hydrogène ou encore les IRVE.
Un quatrième volet important de la nouvelle stratégie logistique concerne les chantiers, qui représentent à eux seuls un tiers des volumes de déchets à gérer dans la capitale. Sur ce point, Emmanuel Grégoire rappelle que "le meilleur déchet est celui qu'on ne produit pas" et que les élus veulent toujours privilégier les opérations de réhabilitations aux démolitions et reconstructions ; et quand construction il doit y avoir, la création de sous-sols - qui nécessite le déplacement de "volumes colossaux" - doit toujours être réduite.
Les flux liés aux matériaux de construction doivent être repensés en favorisant l'électrification de la flotte des véhicules concernés ainsi que les circuits courts en lien avec les entreprises du secteur ; Paris entend également massifier le recours à la voie fluviale. Plusieurs de ces orientations doivent être traduites dans la future charte "chantier durable à faibles nuisances".
Inciter les commerces de proximité à prendre leur part
Un cinquième axe d'intervention vise à accompagner l'innovation et l'adoption, par les acteurs du commerce, de nouveaux modèles de logistique de proximité. Les commerces de proximité devront notamment être informés et sensibilisés aux enjeux des émissions de GES liées aux flux qui leur permettent de se fournir, et bénéficier d'aides de la Ville pour l'achat de vélos électriques, de vélos-cargos ou encore de camionnettes électriques. Les utilitaires électriques partagés seront également développés à travers le service Mobilib' Utilitaire opéré par Clem' (présenté aux derniers entretiens du Cadre de Ville).
Enfin, le sixième pilier de la stratégie présentée par la Ville de Paris renvoie aux conditions de travail des livreurs, dont la profession fait face à une précarité croissante avec l'essor de la livraison à domicile et l'arrivée de modèles économiques et juridiques souvent prédateurs. Si Paris dispose clairement de moins de leviers sur ce point que les services de l'État, elle n'entend pas pour autant renoncer à jouer un rôle social dans le cadre de ses compétences. C'est pourquoi elle a financé la Maison des Coursiers dans le XVIIIe arrondissement, un lieu ouvert en septembre 2021 où les livreurs peuvent se reposer, se rencontrer et bénéficier d'une aide administrative et juridique.
Paris veut également créer un véritable maillage d'aménités (points d'eau, toilettes) à destination des travailleurs en s'appuyant sur les lieux de la vie associative et citoyenne de la capitale. Enfin, la Ville veut signer une charte sociale et environnementale avec les plateformes concernées - un point sur lequel elle se dit relativement optimiste.
Le comité des partenaires pérennisé
Enfin, au-delà de ces six piliers, les élus veulent également montrer l'exemple en faisant évoluer certaines pratiques de l'administration parisienne. La Ville de Paris prendra ainsi plusieurs engagements - en outre, elle favorisera les achats locaux dans sa commande publique, s'efforcera de réduire les flux routiers engendrés par ses chantiers et décarboner sa flotte au profit de des véhicules électriques ou à hydrogène. La collectivité entend également mettre en place des dispositifs visant à lutter contre les angles morts de ses poids lourds et réduire le risque d'accident.
Les élus insistent par ailleurs sur l'inscription de leur stratégie dans une logique de concertation avec les différentes parties prenantes. En effet, les orientations désormais formalisées ont émergé en mobilisant, depuis environ un an, plus de300 partenaires publics et privés dans le cadre d'ateliers de concertation. Le comité des partenaires mis en place pour conclure cette démarche sera d'ailleurs pérennisé pour devenir une instance d'échanges. Dorénavant, il devra se réunir au moins deux fois par an pour adopter une feuille de route annuelle, débattre du bilan des actions initiées et partager des retours d'expérience.
Imran Al Saadi-Despeisse, journaliste, Cadre de Ville
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