Davantage que les contentieux, les demandes d’explications et de communication de pièces de la part des candidats évincés de procédures de marchés publics ne cessent de se développer. Il est vrai que l'évolution de la réglementation, qui fait peser sur les acheteurs publics de plus en plus d'obligations de transparence, et ce dès les MAPA, crée un climat propice à l'expansion d'un phénomène dont la légitimité ne peut bien évidemment être contestée.
La difficulté vient de la détermination de la frontière entre ce qui est communicable et ce qui ne l'est pas, un arrêt récent du Conseil d'Etat étant venu apporter sa pierre à un édifice pas encore tout à fait solidifié.
La notion de secret est un élément essentiel dans le tracé de la frontière sus-visée. La loi du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public fait une distinction entre les secrets absolus (défense nationale, conduite des relations extérieures de l'Etat, procédures engagées devant les juridictions...), qui valent à l'égard de tous, et les secrets relatifs qui ne valent qu'à l'égard des tiers. Et parmi ces derniers figure le secret en matière commerciale et industrielle, qui comprend notamment les mentions et documents relatifs à la stratégie commerciale mais aussi technique et financière des sociétés.
Appliquée à la commande publique, la règle signifie que, en principe, les mentions couvertes par le secret des affaires ne peuvent pas être communiquées à des tiers et doivent donc être occultées préalablement à la communication des documents de marché.
Mais la Commission d'Accès aux Documents Administratifs (la fameuse CADA) a tendance à faire une application à géométrie variable de cette règle. Elle opère notamment une distinction entre les documents relatifs à l'entreprise retenue (en général communicables, s'agissant notamment du bordereau des prix unitaires ou du détail estimatif des prix) et ceux concernant les candidats non retenus, pour lesquels le détail de leur offre de prix globale n'est pas communicable. La CADA prend aussi en compte les caractéristiques propres à certains marchés, s'agissant par exemple de ceux susceptibles de se répéter dans le temps. Dans ce cas, la Commission considère que le détail de l'offre de prix de l'entreprise attributaire du premier de ces marchés n'a pas à être communiqué (voir sur tous ces points la fiche conjointement élaborée par la DAJ de Bercy et la CADA sur la communication des documents administratifs en matière de commande publique).
Un point important mérite d'être rappelé: le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés, et non pas préparatoires. Ainsi, en matière de marchés publics, la communication de certains documents ne pourra se faire qu'à l'issue de la signature du contrat, et non pas après l'attribution du marché.
Dans un arrêt du 30 mars 2016 - Centre Hospitalier de Perpignan, req 375529 -, le Conseil d'Etat a confirmé que les documents relatifs aux offres des candidats étaient bien communicables dans le sens de la loi du 17 juillet 1978, y compris l'acte d'engagement et par conséquent le prix global de l'offre.
Il considère en revanche que le BPU n'est pas communicable, dès lors qu'il est susceptible de porter atteinte au secret commercial de l'entreprise en dévoilant sa stratégie commerciale dans un secteur d'activité donné.
Il s'agit en l'espèce d'une position de principe, susceptible de concerner tous les marchés même ceux ayant vocation à être régulièrement renouvelés. Sur ce point, sa position est plus stricte- ou plus souple selon le côté où on se place-que celle de la CADA.
Un arrêt du 28 septembre dernier - CE, Société Armor Développement, req 390760 - est venu confirmer cette position. Il s'agissait en l'espèce d'un marché public de fabrication, d'approvisionnement et de distribution de vêtements et d'accessoires des personnels de la police nationale, à propos duquel des candidats évincés sollicitaient un certain nombre de documents dont le BPU, le DQE et l'offre finale détaillée du candidat retenu; le tribunal administratif de Paris, saisi en première instance, ne leur ayant pas donné raison sur ce point.
Le Conseil d'Etat valide la décision du Tribunal, et, après avoir rappelé que " au regard des règles de la commande publique, doivent ainsi être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l'ensemble des pièces du marché", indique que "ne sont pas communicables les documents qui reflètent la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité et sont ainsi susceptibles de porter atteinte au secret commercial, tel le bordereau des prix unitaires de cette entreprise".
Au moins, concernant le BPU mais aussi le DQE et, plus généralement tout document venant préciser le prix global de l'opérateur économique, les choses sont claires: ils ne sont pas communicables, le Conseil d'Etat ne prenant donc même pas en compte le caractère répétitif ou non du marché.
On peut aussi noter que le Conseil d'Etat s'est prononcé dans cet arrêt sur les occultations auxquelles avait procédé le Ministère de l'Intérieur au sein des rapports d'analyse des candidatures puis des offres. Selon lui, elles étaient là aussi justifiées par la préservation du secret commercial.
Les acheteurs publics vont donc pouvoir continuer à mettre du blanc sur certaines parties de leurs rapports, et ce en toute légalité.
Jean-Marc Peyrical
Avocat Associé
Président de l'APASP (Association Pour l'Achat dans les Services Publics)
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