Il s'agit d'une question que se posent régulièrement bon nombre d'acheteurs publics: peuvent-ils ne pas retenir la candidature d'un opérateur à l'octroi de l'un de leurs marchés dès lors qu'il ne leur a pas donné satisfaction dans le cadre d'un précédent contrat?
Si tant les textes que la jurisprudence ont petit à petit consacré une telle possibilité, elle est entourée de tels garde fous qu'on peut s'interroger sur son effectivité et les chances réelles de pouvoir l'utiliser.
Le juge administratif a longtemps été muet ou plutôt fermé sur cette question. Il a fallu attendre un arrêt du 27 février 1987, hôpital départemental Esquirol, pour que soit explicitement reconnue la possibilité pour une collectivité publique d'écarter un candidat" en raison de difficultés qui avaient affecté la réalisation de travaux antérieurs ".
La porte était ainsi ouverte. Et par la suite, le juge a pu préciser sa position. Ainsi, un candidat à un marché peut être écarté du fait d'une mauvaise exécution d'un précédent marché sans que soit commise une erreur de droit ni que le principe d'égalité de traitement des candidats ne soit méconnu alors même que le règlement de consultation ne mentionnait aucune condition relative à l'exécution d'un marché antérieur (CAA Paris, 5 décembre 2002, Pezzino c/UGAP).
Et ont été admis comme motifs permettant de rejeter la candidature d'une entreprise les problèmes rencontrés dans le cadre de l'exécution d'un marché public antérieur et notamment la livraison d'ouvrages avec retard ou le non-respect de certaines prescriptions du marché (CE, 24 novembre 2008, Sté El Ale), voire même l'établissement de faux devis ayant entrainé la résiliation d'un précédent marché (CAA Paris, 5 décembre 2002, Pezzino, précité).
Une telle possibilité a été reprise tant par les Directives de 2014 que par leurs textes de transposition en droit interne.
L'article 57 de la Directive 2014/24/UE dispose ainsi que" les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les États membres à exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché dans l'un des cas suivants : (...) des défaillances importantes ou persistantes de l'opérateur économique ont été constatées lors de l'exécution d'une obligation essentielle qui lui incombait dans le cadre d'un marché public antérieur ou d'une concession antérieure lorsque ces défaillances ont donné lieu à la résiliation dudit marche ou de la concession, à des dommages et intérêts ou à une autre sanction comparable". L'approche européenne est donc stricte et ouvre un choix finalement assez restreint en la matière, ne le réservant qu'aux défaillances les plus graves et ayant donné lieu à des sanctions.
Le droit interne n'apparait pas à priori plus souple. Ainsi, l'article 48 I-1 de l'ordonnance 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics précise que les acheteurs peuvent exclure de la procédure de passation du marché public "les personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnés par une résiliation ou ont fait l'objet d'une sanction comparable du fait d'un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l'exécution d'un contrat de concession antérieur ou d'un marché public antérieur". Et le paragraphe II de l'article renforce les contraintes qui pèsent sur les acheteurs à cette occasion dès lors qu'ils doivent permette à l'opérateur économique concerné "d'établir, dans un délai raisonnable et par tout moyen, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être remis en cause et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché public n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement".
Ainsi, un peu comme pour les offres anormalement basses, les acheteurs doivent laisser la possibilité aux candidats de s'expliquer et le cas échéant de démontrer que leur situation a évolué depuis le précédent contrat où ils ont pu être défaillants. Autant dire, à l'instar justement des OAB, que le chemin est particulièrement difficile pour les acheteurs qui ne pourront écarter un candidat avec lequel ils ont vécu une mauvais expérience passée dès lors qu'il prouve qu'il a depuis renforcé ses moyens - techniques, humains, financiers...- et qu'il est tout à fait apte à exécuter correctement les prestations pour lesquelles il candidate.
Les textes, et notamment le dernier paragraphe précité de l'ordonnance de 2015, n'ont fait que retranscrire une jurisprudence dont les dernières évolutions ont justement été marquées par une certaine rigueur.
Ainsi, ' la commission d'appel d'offres ne peut se fonder uniquement sur les seuls manquements allégués d'une entreprise dans l'exécution de précédents marchés sans rechercher si d'autres éléments du dossier de candidature de la société permettent à celle-ci de justifier de telles garanties'( CE, 10 juin 2009, Région Lorraine c/ACE BTP; v.dans le même sens CE, 15 décembre 2011, Ste Blanchisserie Roncaglia).
De même, l'acheteur doit s'assurer que le dossier fourni à l'appui de la candidature ne présente pas de' garanties nouvelles offertes par cette société postérieurement à ce marché '. Des éléments positifs mais antérieurs au marché litigieux doivent cependant pouvoir être écartés (CE, 10 novembre 2010, Ministère de La Défense).
Et si l'acheteur ne prend pas en compte l'ensemble de ces éléments pour attribuer le marché, la procédure d'attribution pourra être considérée comme irrégulière, ce qui constitue une faute de nature à engager sa responsabilité pour autant que l'entreprise en cause ne soit pas dépourvue de toute chance de remporter le marché (CAA Nancy, 4 octobre 2012, SARL TP2B).
La jurisprudence confirme bien que non seulement les acheteurs publics devront fournir des preuves et traces écrites de défaillances importantes( et non par exemple une simple incompatibilité d'humeur par exemple: CAA Marseille, 16 mai 2000, Ste Rafalli) si possible ayant donné lieu à des sanctions des candidats lors de l'exécution de précédents marchés ou concessions, mais ils devront leur laisser une chance de s'expliquer et de démontrer qu'une telle situation ne pourra plus se produire dans le cadre d'un nouveau contrat.
Et bien évidemment, la prise en compte des prestations antérieures ne peut être effectuée qu'au stade de l'analyse des candidatures et non des offres (CJUE 9 octobre 2014, commission c/ Espagne). Une telle prise en compte sera donc plus délicate dans les procédures où, ainsi que le permettent les nouveaux textes, les offres techniques et financières sont examinées avant le dossier de candidature.
Jean-Marc PEYRICAL
Cabinet Peyrical & Sabattier
Président de l’APASP
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